Fantômes de Christian Kiefer

Eté 1945. Newcastle, Californie. Le sergent nippo-américain Ray Takahashi revient dans sa ville natale après avoir combattu en Europe. Il retrouve son pays, la maison de son enfance et les lieux qui lui sont chers, mais aucun membre de sa famille n’est là pour l’accueillir. Les habitants qu’il croise peinent à le reconnaître dans son uniforme de soldat américain, lui qui ressemble tant à un Japonais, lui dont le visage est devenu celui d’un étranger, d’un indésirable.

Cette histoire, c’est John Frazier qui nous la raconte. Nous sommes en 1969, et John revient lui aussi d’une guerre, celle du Vietnam. Il est vivant, alors que tant de ses frères d’arme y ont laissé leur peau. Il est vivant, mais alcoolique et drogué, hanté par les souvenirs du combat, du sang, des cris, des flammes et des avions Phantom auxquels il communique les coordonnées des troupes ennemies, afin qu’ils les bombardent. Pour chasser ses démons et ses fantômes, il trouve un travail de pompiste et se met à écrire pour survivre, comme le soldat vietnamien de Bao Ninh dans Le chagrin de la guerre que Christian Kiefer cite en exergue du livre.

Dans le cœur du soldat, la souffrance de la guerre ressemblait étrangement à celle de l’amour. C’était une espèce de nostalgie, pareille à l’infinie tristesse et un manque, une douleur capable de vous projeter brusquement dans le passé.

 
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Rencontre avec Phil Klay

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Florence et Phil Klay, 27 novembre 2015 ©Liseuses de Bordeaux

Dans le cadre du festival Lettres du monde, nous avons interviewé Phil Klay à la médiathèque de Saint-Médard-en-Jalles. Un moment inoubliable avec un écrivain éminemment sympathique qui nous parle de son livre puissant Fin de mission. Extraits.

Fin de mission est un recueil de nouvelles. Pourquoi avoir choisi ce genre ?
Phil Klay :
Il y a plusieurs raisons. La première est qu’on a souvent une vision trop étroite de ce qu’est un soldat. Quand on pense à la Première Guerre mondiale, on pense à la guerre de tranchée, quand on pense à la guerre du Vietnam, on pense aux patrouilles dans la jungle, et on rattache ainsi chaque guerre à une image. Mais la guerre moderne est beaucoup plus complexe. Il y a une énorme organisation que je voulais montrer à travers toute une gamme de métiers : un aumônier, un soldat chargé des affaires mortuaires, un artilleur, etc. Cela m’a permis d’étudier une même question sous des angles différents.
Finalement, il y a une sorte de tradition dans les écrits sur la guerre, qui consiste à considérer ce que dit le vétéran pour vérité. J’ai un problème avec cette tradition; c’est pourquoi j’ai voulu qu’il y ait douze narrateurs, qui ne sont pas tous d’accord avec ce qu’est la guerre ou la politique. J’ai pensé que ça laisserait un espace pour que les lecteurs s’identifient ou non avec un personnage.Lire la suite »

Minh Tran Huy ou la mémoire en héritage

voyageur-malgre-lui-minh-tran-huy-liseuses-de-bordeauxPrix de l’Escale du livre cette année pour son troisième roman, Voyageur malgré lui, Minh Tran Huy est venue rencontrer ses lecteurs lors de cette manifestation. Elle nous a parlé de son enfance durant laquelle, élevée par sa grand-mère, elle voyait le monde en vietnamien et nous a expliqué comment, au fur et à mesure, la langue et la culture se sont effacées. C’est ainsi que pour elle, nostalgie de l’enfance et nostalgie du vietnamien sont intimement liées.
Voyageur malgré lui est l’histoire du père de Minh Tran Huy, réfugié vietnamien arrivé en France comme étudiant. Line, narratrice au métier très poétique d’enregistreuse de sons, nous raconte plusieurs destins de voyageurs malgré eux, avant d’arriver à l’histoire de son père : Albert Dadas, fugueur maladif; Samia Yusuf Omar, athlète somalienne, héroïne des jeux de Pékin et noyée en mer en tentant de rejoindre l’Europe juste avant les JO de Londres; Thinh, l’oncle bizarre; Hoai, la cousine disparue.Lire la suite »