Dans la mer vivante des rêves éveillés, de Richard Flanagan 

Tasmanie, Australie, aujourd’hui.

Une femme, Anna, et ses deux frères se retrouvent auprès de leur mère, victime d’un AVC. Autour d’eux le monde brule, leur île est dévorée par le feu, le ciel est devenu ocre, l’air empeste la suie. 

La maladie d’une vieille femme, d’une part, la disparition dans les flammes de milliers d’hectares de forêt et de millions d’animaux, d’autre part : deux événements, deux urgences bien réelles mais pour Anna et ses frères l’une éclipsera l’autre et sera au centre de leur vie plusieurs mois durant. Jusqu’où aller pour repousser la mort d’une mère ? Chacun des trois membres de cette fratrie devra prendre position, chacun devra aussi négocier avec le souvenir refoulé de la mort d’un grand frère lorsqu’ils étaient encore très jeunes. Chacun devra affronter sa propre peur de la mort et de la perte. 

Richard Flanagan nous livre un récit efficace, tendu, prenant, aux accents fantastiques. Alors que sa mère laisse peu à peu filer sa vie, Anna ne voit-elle pas disparaître un à un des morceaux de son propre corps ? Un doigt, puis un genou, un sein deviennent invisibles sans que personne ne s’en rende compte ou ne veuille le voir. Au lent effacement d’un corps, répond l’indifférence.

Ce roman est un cri. Un cri d’alerte car ce récit bouleversant réussit à nous faire comprendre ce qui est à l’œuvre dans nos sociétés : la disparition du monde réel dans l’indifférence et les flammes (ou sous le béton, sous le plastique, etc.), et l’avènement d’un monde virtuel, ce refuge à portée de doigt, un scroll sur Insta et puis s’en va, pour fuir et déserter l’action. Le langage lui-même est perverti et ne sert plus à dire le monde : les mots de la finance, du management et de la technologie en s’insinuant dans nos vies font disparaitre le réel derrière un écran de fumée.

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KUKUM, lauréat du prix France Québec

Québec, sur les bords du lac Saint-Jean, 1895. Almanda, orpheline issue de l’immigration irlandaise, croise le chemin de Thomas, un jeune Innu. Il la convie à quitter une vie immobile à la ferme pour partager sa vie de chasseur dans « une nature indomptée et somptueuse […] libérée de l’horizon ». C’est l’été de ses 15 ans. Elle choisit cette vie rude et libre.

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L’enfant céleste

Nous vous avons réservé une petite sélection de premiers romans de la rentrée littéraire. Aujourd’hui, le premier roman de Maud Simonnot, L’enfant céleste (L’Observatoire), en librairie ce 19 août.

L'enfant céleste, par Maud SimonnotNous avions rencontré l’auteure à l’Escale du Livre, pour la sortie de sa biographie de Robert McAlmon, La nuit pour adresse (2017). Elle nous revient avec son premier roman, L’enfant céleste.

« En tant que lecteur et résident d’îles, je retrouve dans les pages de ce roman l’intacte merveille des nuits d’été, les yeux grands ouverts sous la mystérieuse procession des étoiles. » Erri de Luca

Résumé éditeur. Sensible, rêveur, Célian ne s’épanouit pas à l’école. Sa mère Mary, à la suite d’une rupture amoureuse, décide de partir avec lui dans une île légendaire de la mer Baltique. C’est là en effet qu’à la Renaissance, Tycho Brahe – astronome dont l’étrange destinée aurait inspiré Hamlet – imagina un observatoire prodigieux depuis lequel il redessina entièrement la carte du Ciel.
En parcourant les forêts et les rivages de cette île préservée où seuls le soleil et la lune semblent diviser le temps, Mary et Célian découvrent un monde sauvage au contact duquel s’effacent peu à peu leurs blessures.

Pourquoi on aime ce livre. Parce que cette histoire nous touche. La relation fusionnelle qui unit Mary à son fils, cet élan de survie qui la pousse à quitter Paris avec lui donne un souffle de liberté à ce récit. Sur cette île, durant cette parenthèse libératrice, Mary se reconstruit et son petit garçon lumineux à l’intelligence sensible s’épanouit au contact de la nature, des nuits étoilées et de la mer.
Accompagnée des figures tutélaires de Tycho Brahe et Shakespeare, l’écriture sensible de Maud Simonnot nous entraîne dans un voyage hors du temps, dans une contemplation des paysages de la mer Baltique.
Un très beau premier roman, lumineux et poétique. Une invitation à la rêverie.

Marisa, 19 août 2020

Elmet de Fiona Mozley

L’histoire

Daniel vit dans une maison construite dans les bois du Yorkshire, avec son père et sa sœur ainée, sur les terres d’un propriétaire sans scrupules, Mr Price.
En harmonie avec la nature qui les entoure, la famille mène une vie marginale. La mère est partie et le père fait subsister les siens grâce aux combats qu’il gagne, pour de l’argent, à la force de ses poings. Sous la protection de leur père, les enfants grandissent, s’accommodant de ses absences et de ses silences. Un lien profond unit ces trois êtres, fait d’amour, de respect et de confiance.

Tout bascule le jour où Mr Price les menace d’expulsion. En réaction, le père organise un mouvement de résistance, ralliant à sa cause les travailleurs et les locataires de la région, eux aussi opprimés par les propriétaires. Une mécanique dramatique se met alors en mouvement…

Ce qui nous plaît

Le choix narratif. Dans Elmet, l’auteur réussit à faire naître chez le lecteur un sentiment d’empathie pour le père et ses enfants. Le fait de choisir pour narrateur le jeune Daniel y est sans doute pour quelque chose : racontée d’une voix candide et fragile, la violence qui s’installe n’en est que plus intolérable.

Le père. Mi-Captain Fantastic, mi-Robin des Bois, le personnage du père est magnifique.

«  Malgré toute sa brutalité, papa aimait les gens. Il avait pour eux l’affection d’un chasseur pour ses proies. Il les aimait profondément, sincèrement, mais avec distance. Il avait peu d’amis, il ne les voyait pas souvent, mais les gens qu’il aimait, il les choyait comme de vieux souvenirs. Et il se souciait d’eux. »

Le style. L’écriture de Fiona Mozlay, même lorsque la tension est dramatique, sait se faire délicate. A la manière des impressionnistes, l’auteure signe un roman tout en finesse où les silences et les non-dits ont toute leur place. On remarquera donc une attention pour le lecteur qui n’est pas « téléguidé » : à lui de trouver ses propres réponses, à lui d’imaginer, en marge, un développement au récit.

L’habileté. L’auteure évite l’écueil d’un roman manichéen opposant les riches et méchants propriétaires aux gentils locataires honnêtes. Le récit est bien plus complexe et l’intrigue bien plus difficile à dénouer.

Un récit universel. Située au 20ème siècle en Angleterre, cette histoire pourrait très bien avoir lieu à une autre époque, à un autre endroit. La portée universelle de ce conte est évidente : Fiona Mozley nous raconte une histoire de combat, d’espoir et de fraternité.

Un premier roman abouti.

Marisa, 6 janvier 2020