Arthur, son ange – L’échappée belle édition

Ne vous fiez pas à la couverture bleu outremer ni au titre de ce roman. Rien d’angélique dans cette histoire. En 127 pages, Laure Beaudonnet nous entraîne dans l’âme perturbée d’un enfant. C’est glaçant et incisif. Avec ce premier roman très réussi, l’auteure s’intéresse à la naissance des psychopathes. Journaliste, elle a étudié la psychologie et s’interroge sur ce qui entraîne un être à basculer pour devenir un meurtrier. La mère d’Arthur aurait préféré avoir une fille, elle a dû subvenir seule à l’éducation de son enfant et a entretenu une relation nocive avec son fils lorsqu’il était petit. Mais rien qui justifie l’engendrement d’un monstre en devenir. Laure Beaudonnet utilise la troisième personne ce qui permet de comprendre le point de vue de chaque protagoniste :

La mère : De peur de se confronter à ses propres négligences, Véronique a fini par éviter Arthur, son regard, sa présence. Au début elle se protégeait des mauvaises surprises, puis c’est devenu une habitude.

Le beau-père : Comment lui confier qu’il ressent un malaise profond au contact de cet enfant, un silence inhabituel qui noue les tripes et bloque la respiration.

ou les camarades de classe d’Arthur (des portraits d’adolescents en mal-être pleins de vérité). Cela rend cette fiction encore plus réaliste. Âme sensible s’abstenir. Arthur, un enfant devenu adolescent, qui prend plaisir à voir le sang couler ou à créer du malaise auprès des personnes qui l’entourent : c’est déroutant et malheureusement cela existe autour de nous. 

Babeth, le 22 février 2023

Arthur, son ange, Laure Beaudonnet, L’échappée belle édition, 2020

Blizzard, de Marie Vingtras

Blizzard ainsi s’intitule le premier roman de Marie Vingtras pour lequel le prix des Libraires 2022 lui a été décerné. Dès la toute première phrase – Je l’ai perdu – le lecteur se trouve projeté au cœur d’un drame qui se joue au beau milieu d’une tempête de neige en Alaska. A peine Bess s’est-elle penchée pour renouer un lacet desserré que le blizzard a englouti l’enfant qui l’accompagnait. Il y a urgence, elle se met aussitôt à sa recherche dans ce monde opaque où tout repère a disparu. Mais déjà, elle n’est plus seule dans cette immensité, elle est suivie de près par quelques habitants de ce bout d’Alaska qui ont constaté son absence. 

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Un monstre et un chaos, de Hubert Haddad

Dans la courte postface de son roman Un monstre et un chaos, édité chez Zulma, Hubert Haddad cite Blaise Pascal : « Quelle chimère est-ce donc que l’homme ? … quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ! Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude et d’erreur : gloire et rebut de l’univers.« 

L’interrogation de Pascal concernant l’être humain fournit son titre à l’œuvre et prend en effet toute sa force quand on évoque la Shoah. Dans son roman, l’auteur mêle réalité et fiction : il s’appuie sur une réalité historique et culturelle juive extrêmement bien documentée pour y introduire une fiction à la fois terrible et poétique.

L’histoire débute en 1941 en Pologne et se déroule en grande partie dans le ghetto juif de Lodz, le deuxième plus grand du pays. Environ 200 000 personnes entassées dans les immeubles et tout ce qui pouvait servir d’abri. La situation de Lodz a ceci de tristement particulier que sa population juive y fut utilisée sur place comme esclave, œuvrant sans relâche, dans le dénuement le plus total, dans les ateliers de confection, les tanneries, dans les usines de textile de la ville au service de l’économie de guerre du Reich allemand. Et c’est le doyen du conseil juif qui conçut ce projet et s’en fit l’intermédiaire auprès du chef nazi du ghetto qui l’accepta au prix d’ignobles tractations. Chaïm Rumkowski, dans sa folie mégalomane, se considérait comme le sauveur de sa communauté qu’il haranguait tel un messie afin de faire régner l’ordre et de mieux la convaincre de coopérer avec ses bourreaux. L’homme lui promettait la vie sauve. Le dernier discours du « roi Chaïm », triste pantin aux mains des nazis, Hubert Haddad l’a d’ailleurs retranscrit tel qu’il fut prononcé en 1942 par son auteur : ses paroles laissent le lecteur abasourdi par tant d’égarement criminel.

Aucun des sacrifices demandés à la population ne la sauva d’ailleurs des camps d’extermination voisins où elle périt – et Chaïm avec elle – peu de temps avant l’arrivée de l’Armée rouge.

Dans ce décor cauchemardesque se joue la vie d’un gamin de douze ans, Alter, (on pense bien sûr à altérité !) qui a pu s’échapper de son shtetl dévasté par la folie génocidaire de l’occupant. « Une chose inconcevable« , la mise à mort brutale de son frère jumeau dont il a été témoin, « a brûlé sa mémoire. » Mû par la volonté inébranlable de vivre, il échoue dans le ghetto de Lodz. Il nous entraîne dans ce qu’il en reste, se faufile entre les habitations et les synagogues détruites, les caveaux du cimetière, dans un dédale de ruelles et de recoins où les nazis et la police juive acquise à Chaïm peuvent surgir à tout moment.

En ces jours de l’automne quarante, l’odeur de sang, de sueur et de putrescence débordait des champs de bataille, des charniers, des cimetières et même du palais des princes, jusqu’au cœur détruit des villes, dans les rues surpeuplées des mille ghettos, au fond des oubliettes et des hideuses tranchées où succombaient les innocents. Personne n’eût pu retarder les processus invasifs de décomposition enclenchés un an plus tôt en Pologne.
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La nuit des anges, d’Anna Tommasi

Une jeune femme revient avec son fils en Bretagne où elle a vécu avec ses parents lorsqu’elle était jeune. 

Anna Tommasi, qui signe là son premier roman, installe minutieusement tous les personnages qui encadrent Alice. Le plus important est Lucas, son fils autiste. Puis, toutes les personnes qu’elle retrouve en venant à Perros-Guirec. Depuis dix ans, l’attention à apporter à Lucas a éloigné Alice de ses parents, de ses amis d’enfance et a mis fin à son mariage. Revenir en Bretagne c’est aussi penser à Victoire, cette amie qui a disparu lorsqu’elle avait 9 ans. Or une petite fille disparaît dans des circonstances similaires lors de ses vacances. Alice va aider Teddy, le frère de Victoire, toujours en quête de retrouver sa sœur, à chercher des indices permettant de retrouver l’enfant vivante. Mais chacun semble avoir quelque chose à cacher. L’auteur de La nuit des anges égrène ses personnages comme pour noyer le poisson et nous fait hésiter constamment sur la personne à accuser.
Il y a un rythme oppressant dans ce thriller. C’est à la fois lent, car à chaque nouvelle personne qui nous écarte du dénouement, on est suspicieux, et en même temps, on dévore les pages pour enfin savoir où est cette petite fille, si elle est vivante et si cette histoire a un lien avec la disparition de Victoire.

J’ai aimé lire un thriller qui se déroule dans une région que je connais bien. Cela augmente le réalisme et l’inquiétude telle qu’on peut l’avoir en lisant des faits divers macabres dans les journaux. Je vous invite à mettre ce roman policier dans votre valise pour l’été.

Babeth, le 9 mai 2022

La nuit des anges, Anna Tommasi, 2022, Editions Préludes