Paul Lynch, prophète du festival des Etonnants Voyageurs

Il était impossible cette année de repartir du festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo sans connaître le nom de Paul Lynch ! L’écrivain irlandais était présent dans pas moins de cinq rencontres aux formats très variés, allant du grand débat inaugural à une séance plus intimiste de lectures à voix haute d’extraits de ses cinq romans.

Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, Paul Lynch est devenu une icône dans son pays depuis que son cinquième roman, Prophet song, a été récompensé du prestigieux Booker Prize en 2023. Ce livre, qui s’est vendu à plus de 500 000 exemplaires au Royaume-Uni, a également été traduit dans plus de trente langues. Sa version française est parue sous le titre Le chant du prophète chez Albin Michel en début d’année.

Personnellement, je me souviens de l’excitation ressentie dès la lecture des premières lignes de ce roman. La joie du lecteur qui découvre une écriture superbe, qui pressent qu’il a ouvert un livre qu’il va prendre énormément de plaisir à lire.

La nuit est tombée et elle n’a pas entendu les coups à la porte, elle regardait le jardin par la fenêtre. L’obscurité qui enveloppe les cerisiers sans un bruit. Elle achève de recouvrir leur feuillage et le feuillage ne lui résiste pas, il accueille l’obscurité dans un murmure. La fatigue, la journée tirant à sa fin et tout ce qui lui reste à faire avant d’aller dormir, les enfants réunis au salon, ce sentiment de paix qu’elle éprouve fugacement devant la vitre. Contempler le jardin gagné par l’ombre, et ce désir en elle de s’unir à l’obscurité, de sortir s’étendre à ses côtés, reposer près des feuilles mortes et laisser couler la nuit, ne se réveiller qu’à l’aube et se lever régénérée avec le matin. Si il n’y avait pas ces coups à la porte.

J’ai découvert depuis que la qualité de l’écriture est une constante des livres de Paul Lynch. Une langue qui s’attache aux descriptions, aux sensations, qui prend le temps de créer une atmosphère, un univers. Le succès phénoménal de Prophet song vient sans doute du choix pour ce roman d’un sujet très actuel qui interpelle beaucoup d’entre nous, ses lecteurs. Située en Irlande, dans un temps qui pourrait être le nôtre, cette dystopie raconte les différentes étapes du glissement d’une démocratie à une dictature. Cette fiction n’est pas distanciée, structurelle ou collective mais provoque notre empathie en se plaçant au niveau individuel. C’est du point de vue d’Eilish, jeune mère de famille, que nous allons vivre les différentes étapes de la perte de liberté de sa famille. Accession à la tête du pouvoir d’un régime populiste, restriction progressive des libertés individuelles et collectives, couvre-feu, guerre civile, tout résonne avec des évènements proches ou actuels – Syrie, Afghanistan, Etats-Unis…-, réveille ou attise nos angoisses personnelles face au vent mauvais qui souffle sur nos démocraties.

Avec la séance inaugurale du festival des Etonnants Voyageurs, un premier rendez-vous avec Paul Lynch nous était proposé. Ce grand débat, rassemblait autour de l’auteur irlandais Lauren Groff, Djamila Ribeiro et Leïla Slimani. C’est autour de la liberté et de sa mise en danger ou de sa perte, thématique centrale du dernier ouvrage de Paul Lynch, qu’allaient se concentrer les échanges entre tous ces écrivains. France, des Liseuses de Bordeaux, a consacré un article à cette séance inaugurale sur notre blog. Comme elle, un témoignage de Lauren Groff m’a particulièrement interpellé. Cette dernière y dénonçait l’interdiction de milliers de livres aux Etats-Unis. Sidérant. La lueur d’espoir venait de la résistance de tous ces écrivains. Résistance par l’écriture ou par des engagements concrets comme l’ouverture par Lauren Groff d’une librairie pour diffuser les ouvrages frappés de censure.

Parmi les quatre autres propositions du festival le concernant, j’avais choisi de revoir Paul Lynch dans une rencontre de format très différent. Une séance de lecture à voix haute par Paul Lynch lui-même d’extraits de ses cinq romans était organisée sous un joli petit chapiteau. En compagnie de sa traductrice, l’écrivain nous y a régalé d’assez longues lectures en anglais. Des écrans permettaient de suivre la traduction en français. De façon très détendue et avec beaucoup d’humour, Paul Lynch faisait précéder chaque lecture d’anecdotes ou d’explications sur la naissance ou la rédaction du livre concerné. Un très beau moment de partage et d’émotion.

Cette carte blanche offerte par le festival Etonnants Voyageurs à l’écrivain Paul Lynch a été une belle occasion de prolonger la découverte de cet auteur que j’avais faite quelques mois plus tôt en lisant Le chant du prophète. Mon dernier article sur le blog des Liseuses de Bordeaux (Le fantôme de la banquette arrière de Jan Carson) portait sur un recueil de nouvelles de Jan Carson, jeune écrivaine d’Irlande du Nord, et soulignait l’incroyable richesse de la littérature féminine irlandaise contemporaine – Nuala O’Faolain, Edna O’Brien, Claire Keegan pour ne citer qu’elles. Avec des auteurs comme Colm Toibin, Colum McCann et Paul Lynch, les hommes ne sont pas en reste et c’est la littérature irlandaise contemporaine, tous genres confondus, dont je salue ici l’extraordinaire vitalité !

Eric, juin 2025

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