« Moi ce que j’aime, c’est les monstres » d’Emil Ferris (tome 1 et 2)

Précipitez-vous, Karen Reyes n’est pas un monstre, pas plus que ne l’est la galerie de personnages qui l’accompagne; ils sont humains, terriblement, parfois atrocement humains et c’est cela qu’ils ont sans doute de monstrueux. Karen Reyes n’est pas un monstre, c’est une petite fille mi loup-garou mi humaine, sans que ne soit tranchée d’ailleurs, la question de savoir si sa représentation en loup-garou correspond à la façon dont les autres la voient ou dont elle, elle se voit… Elle est étrange, en tout cas comme tous ceux qui prennent vie autour d’elle, humains, peluches, morts, ombres, fantômes peut-être…  Tout ça s’entre-mêle, vous captive et ne vous lâche pas.

Je lis peu de BD et de romans graphiques mais lorsque je suis tombée il y a quatre ans face à la couverture du tome 1 de Moi ce que j’aime, c’est les monstres d’Emil Ferris, je me suis tout de suite dit que celui-là était pour moi. Le titre tout d’abord et le dessin, dingue, à tomber… Je sais depuis que le stylo Bic quatre couleurs est une arme magique qui permet de créer des dessins d’une précision, d’une profondeur, d’une beauté à couper le souffle. Dans le tome 2 d’ailleurs, il sert à représenter des chefs d’œuvre de la peinture que Karen découvre au Musée avec son frère.

Car oui, il y a tout dans l’univers dans lequel Karen nous emmène : un crime à résoudre, des chefs d’œuvre en pagaille, de la noirceur, du lubrique, de l’étrange toujours qui inquiète et sauve à la fois, des sentiments, de l’Amour, de la peur, des autres pas mal mais de soi aussi beaucoup… La voisine de Karen a été tuée juste au-dessus de chez Karen dans le tome 1 et l’enquête qu’elle continue de poursuivre dans le tome 2 est tout à la fois une enquête sur le meurtre, une enquête sur sa famille et ce qu’elle lui cache croyant la protéger, et une enquête sur elle-même : qui est-elle au fond d’elle-même, qui s’apprête-t-elle à devenir, en qui ou en quoi s’apprête-t-elle à se transformer… ? Et on avance avec elle sur ces trois champs de questionnements tout aussi indépendants que profondément reliés, entouré de dessins qui sur 800 pages sont tous plus incroyables les uns que les autres…

Karen se cherche tandis qu’elle cherche le meurtrier d’Anka, sa voisine, et qu’elle cherche ce qu’on lui cache… car c’est exactement ce sur quoi cette histoire met le doigt : la façon dont les enfants perçoivent ce qu’on leur dissimule, la façon dont ils sont confrontés à la noirceur, à la perversité des adultes qui les heurte et qu’ils préfèrent faire semblant d’ignorer en restant dans leur monde. Et en termes de noirceur et de perversité, les bas-fonds du Chicago des années 60 sont bien lotis… Mais comme dans la vie, ceux qui la confrontent à cette noirceur sont aussi ceux qui l’en sauvent, l’amour pour le meilleur et pour le pire, l’amour pour Deeze avant tout, Diego Reyes, ce grand-frère mystérieux qui fait des choses illégales c’est sûr, mauvaises peut-être. Mais quoiqu’il en soit, eux deux, côte-à-côte au Musée ou dans les ruelles crasses de la ville, c’est du solide, un lien en barre à mine…

Alors à ce stade, j’ai envie de vous parler de tous les autres personnages, des dessins encore et encore, de la beauté et de la qualité d’étrangeté qui se dégage de chacun d’eux mais en un mot, même si Noël est passé, ces deux tomes (et il y a écrit A suivre… à la fin du second !) sont à placer dans votre bibliothèque car ce sont de purs chefs d’œuvre, réalisés au stylo Bic par une Emil Ferris qui croyait ne plus jamais pouvoir dessiner au début du premier et devait scotcher son stylo à sa main pour tenter de recommencer à griffonner…

France, janvier 2025

Moi ce que j’aime, c’est les monstres (tome 1 et 2), Emil Ferris, Monsieur Toussaint Louverture, 2018-2024

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