Toute passion abolie de Vita Sackville-West

Le titre en dit déjà beaucoup ;

De passion, il n’en est plus trop question, 

L’abolition ; l’annonce d’une fin de vie. 

Tout commence avec le décès de Sir Henry Holland, premier comte de Slam, aux multiples titres et honneurs, âgé de quatre-vingt-quatorze ans. Dans cet univers aristocratique du vingtième siècle, les relations sont policées et la bienséance semble être le mot d’ordre. Lady Slane, personnage principal de ce roman, épouse exemplaire, a partagé sans faillir l’existence de son défunt mari, de voyages en réceptions, de mondanités en œuvres caritatives. Cette lady âgée de quatre-vingt-huit ans jusqu’alors si docile, décline la proposition faite par ses enfants de l’accueillir à tour de rôle, la pensant anéantie par ce deuil et désireuse d’être entourée. Contre toute attente, elle choisit de s’installer dans un cottage situé à Hampstead, en banlieue de Londres. 

« Leur mère avait perdu l’esprit ! Depuis toujours certes, ils estimaient qu’elle n’était pas une femme de tête mais cette fois-ci une certitude venait de s’imposer à eux : le grand âge avait irrémédiablement affecté sa lucidité »

Ce premier acte d’indépendance assumé, Lady Slane va éloigner avec fermeté les membres de sa famille, enfants et petits-enfants. 

« J’entends devenir complètement égoïste, comment dire m’immerger dans mon grand âge. Pas de petits enfants, ils sont trop jeunes. Aucun n’a la quarantaine. Pas d’arrières petits enfants non plus ! Ce serait pire je ne veux pas de cette jeunesse qui non seulement s’agite mais cherche toujours en plus à savoir pourquoi……. Je ne veux auprès de moi que des personnes plus près de la mort que de la naissance. »  

Accompagnée de sa fidèle domestique Genous, Lady Slane choisit ses relations et décide de finir ses jours, entourée de trois messieurs, triés sur le volet, aux personnalités atypiques ; le propriétaire des lieux, l’artisan en charge des travaux et Mr Fritzgeorge, entrevu quelques décennies plus tôt. 

« Tous les trois étaient trop âgés pour jouer au plus fin, entrer en compétition, s’espionner ou tenter de marquer des points sur l’adversaire…. Ensemble ils vivaient tous les trois leur grand âge, ce moment de la vie où il n’est plus nécessaire de se parler pour se comprendre. Qu’ils semblaient loin, ces jours autrefois vécus dans la violence des passions excessives et brûlantes, où le cœur semblait prêt à se briser sous l’assaut des désirs complexes et contradictoires ! » 

En toute quiétude, Lady Slane renoue avec ses souvenirs, questionne ses aspirations profondes, ses choix ou absences de choix. Ce constat est dénué d’amertume ou de regrets. Le présent est savoureux et s’octroie même le droit de raviver des sentiments que l’on pensait enfouis. Le ton est résolument optimiste, enjoué, empreint de douceur et de poésie.

Sans faux semblants, c’est le récit d’une existence raffinée dans un monde feutré qui nous est dévoilé avec lucidité et détachement. Dans un style « so british », ce regard est teinté d’ironie et s’accompagne d’un humour parfois caustique lorsqu’il s’agit de décrire les relations familiales empreintes d’hypocrisie.  

L’avancée dans l’âge permet-elle le détachement nécessaire à une rétrospective heureuse, une acceptation de la façon dont nous avons mené nos existences ? 

Même si l’émancipation de Lady Slane peut sembler tardive, ce récit nous plonge dans l’univers aristocratique du début du siècle. Tel un peintre impressionniste, au travers des souvenirs évoqués, les moments clés d’une vie sont mis à nu avec élégance et dévoilent les renoncements consentis. Témoignage du rôle alloué à l’épouse, à la mère, ce roman nous questionne sur nos propres choix de vie, sur l’attention que nous portons à nos aspirations profondes, sur l’influence des conventions sociales sur nos destinées. 

L’autrice Vita SACKVILLE-WEST est née en 1892, et a vécu dans cet univers aristocratique. 

Poétesse et biographe, épouse de diplomate, c’est une femme libre qui entretiendra des relations saphiques et inspirera Virginia Woolf pour son roman Orlando. 

Vita Sackville-West finira ses jours dans le château de Sissinghurst, elle participera à la conception de ces jardins. 

Si vous souhaitez vous immerger dans le décor de ce roman savoureux (La légende de Sissinghurst – La terre est un jardin )

Catherine, novembre 2024

Toute passion abolie, Vita Sackville-West, Editions Autrement (collection les grands romans), réédition de 1931

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