Les vieux ne pleurent jamais

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Judith Hogen, soixante-dix ans, est une actrice à la retraite, et surtout veuve depuis une année. Elle semble avoir quitté le monde, celui Brooklyn où elle vit, celui de son passé artistique à New York, celui d’une famille qu’elle a peu à peu abandonnée en quittant la France, bien des années auparavant. Elle apparaît comme recluse dans les objets du passé conjugal, en proie à une solitude qu’elle supporte aussi mal que les présences un peu débordantes de vie ou simplement insistantes, comme celle de sa voisine Janet Shebabi.Lire la suite »

Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire

jonas-jonasson-le-vieux-qui-ne-voulait-pas-feter-son-anniversaire-liseuses-de-bordeauxde Jonas Jonasson

Voilà de quoi donner du rythme à la grisaille de cet hiver… Si vous êtes grippé, en carence de vitamine D, à l’hôpital, ou simplement en état d’hibernation, voilà une histoire rocambolesque, et le mot n’est pas faible, qui excitera votre curiosité…

Allan Karlsson vient d’avoir cent ans et s’échappe de sa maison de retraite quelques instants avant une fête organisée pour lui, sans son consentement. On se prend assez vite de sympathie pour ce personnage qui ne manque pas d’énergie et de sang-froid et qui rencontre une série d’autres originaux, plus ou moins dans la légalité…

C’est un style facile et un humour truculent, une façon de revisiter l’histoire du monde d’une manière assez peu croyable…mais on se prend au jeu. On pourrait reprocher à ce récit un peu de longueur, mais vous pouvez sauter quelques pages sans perdre le fil de ce polar insolite. Bref, une littérature assez décalée, une best-seller prévisible, mais qui fait du bien !

Laetitia, 28/02/2016

Les nuits de la laitue de Vanessa Barbara

les-nuits-de-la-laitue-vanessa-barbara-liseuses-de-bordeauxLes nuits de laitue, ce sont les nuits où Ada fait une tisane de laitue à Otto, les nuits où il n’arrive pas à trouver le sommeil. Et il y en a beaucoup !
La dernière en date a provoqué chez le pauvre homme toute une nuit de cauchemars. A moins que ceux-ci ne soient artificiels… Mais que voulait donc lui cacher Ada avant qu’elle disparaisse… Des voisins y seraient-ils mêlés ?
Des deux, c’était elle le lien du couple avec l’extérieur : elle aimait partager les histoires du quartier. L’auteur dresse pour cela toute une galerie de personnages hauts en couleur dont la maison d’Otto constitue l’élément central. Le vieil homme entend leurs bruits familiers aussi furtifs qu’assourdissants et apprend peu à peu à connaître son voisinage.

J’ai aimé ressentir la douceur sud-américaine que le livre transcrit et je me suis sentie appartenir à ce quartier. Je suis devenue une voisine d’Otto et un témoin du quartier qui écoutait à la fois les bruits, les rumeurs et les vies de ces personnages.

Berengère, 25 août 2015

Emily de Stewart O’Nan

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J’ai beaucoup aimé Emily, le dernier roman de Stewart O’Nan. Nostalgique, jamais triste, à l’humour subtil, Emily dresse le portait sur une année d’une octogénaire vivant à Pittsburgh. Les saisons s’y écoulent lentement, avec quelques à-coups parfois, toujours sans urgence.

Les semaines d’Emily sont rythmées par deux rendez-vous immuables : la venue de sa femme de ménage, Betty, le mercredi et les déjeuners au Eat’n Park avec sa belle-sœur Arlène, le mardi. Ce n’est pas qu’Emily et Arlène soient particulièrement proches. En fait, c’est l’âge qui les a rapprochées. Et la solitude. Car Emily, c’est le portrait de la solitude des grandes villes d’aujourd’hui : elle vit seule dans une maison de banlieue, ses contacts avec ses voisins sont courtois, bien que rares…

Ses sorties hebdomadaires avec Arlène sont une aventure. Le roman s’ouvre d’ailleurs sur une scène hilarante où Arlène traverse Pittsburgh au volant de sa voiture, presque à l’aveuglette. Emily, assise à la place du co-pilote, est terrifiée, ne peut prononcer un mot pendant le trajet et est véritablement soulagée d’arriver au Eat’n Park, où grâce à des coupons de réduction, elles ne paieront qu’un repas sur les deux. Mais Arlène, prise d’un malaise, s’effondre, faisant subitement prendre conscience à Emily de sa dépendance et de la fragilité de l’existence. Emily choisit de lutter en s’achetant une voiture qui devient l’emblème de son indépendance et de son contrôle sur sa vie.

Et pourtant, elle attend. Elle attend les visites de ses enfants, Margaret et Kenneth, et de ses petits-enfants, qui sont les points d’orgue du roman. Les visites sont brèves, toujours un peu précipitées, mais intenses. Stewart O’Nan montre avec beaucoup de subtilité les efforts d’Emily pour ne pas reproduire l’éducation qu’elle a reçue de sa mère, ses incompréhensions des évolutions de la société, que ce soit le désir d’indépendance de sa fille Margaret ou l’homosexualité de sa petite-fille, et son regret de ne pas avoir été la mère qu’elle aurait voulu être.

Le roman aborde aussi le déclassement de la classe moyenne. Si Emily a réussi à s’extraire de son milieu social rural, sa fille Margaret, bien qu’ayant un emploi, a besoin du soutien financier régulier de sa mère pour subvenir à ses besoins, et ce malgré des conditions d’existence nettement inférieures. Car c’est cela aussi que décrit Stewart O’Nan : ce que la classe moyenne a perdu en deux générations dans une ville industrielle en déclin comme Pittsburgh.

Mais Emily est un roman à l’humour lumineux. Il s’immisce naturellement dans les scènes, comme celle où, après avoir goûté à la liberté que procure une voiture, Emily découvre les affres des réparations coûteuses et les franchises d’assurance…

Il y aurait encore tant de choses à écrire sur ce roman subtil : l’omniprésence du chien Rufus, vieux springer malade, qui est un personnage à part entière ; la musique classique, qui masque le silence de la solitude (le roman mériterait une bande-son…) ; les petits mystères qui jalonnent l’histoire comme cette femme nue en pleine nuit…

Florence, 01/06/2015