Arène de Négar Djavadi


Vive émotion sur les réseaux sociaux après la mort d’un adolescent

L’Arène, comme l’appellent les scénaristes, c’est l’Est parisien. Dans un quartier où cohabitent des peuples d’origines multiples, mais aussi fraternité, précarité et trafic de drogue, une bavure filmée et mise en ligne par @Corky vient mettre le feu aux poudres. Alors qu’un camp de migrants est délogé par les forces de l’ordre, gît au sol un jeune homme. Une policière va lui demander de se relever mais n’obtenant pas de réponse, elle lui assène un coup de pied. Elle découvre avec effroi qu’il est mort. Il ne s’agit pas d’un migrant mais d’un jeune musulman du quartier.

Ce film de deux minutes devient une arme et la viralité des réseaux sociaux va opérer. C’est dans ce quartier de Grange aux Belles qu’a grandi Benjamin Grossmann. Quelques heures avant ce drame, il était venu voir sa mère. L’un et l’autre ont du mal à communiquer. Ils évoluent dans deux mondes différents. Benjamin se sent exilé dans sa famille et peut-être tout simplement dans sa vie. Pourtant il a réussi. Il dirige depuis peu la branche française d’une plateforme américaine de fictions concurrente à Netflix. « Le temps dans lequel évolue Benjamin Grossmann n’est plus le présent mais le maintenant. » Or ce qui angoisse MAINTENANT Benjamin c’est la perte de son téléphone contenant tous ses contacts de personnalités du cinéma. Cet événement va être l’élément déclencheur d’un engrenage où chacun devient acteur d’un spectacle vivant allant jusqu’à l’émeute.

Après Désorientale, Négar Djavadi nous entraîne à l’est de Paris qu’elle connaît bien puisqu’elle y vit depuis plus de vingt ans. A travers cette histoire qui est au cœur de l’actualité, l’auteur s’attache à montrer le pouvoir impactant et immédiat des images. Alors qu’auparavant, seuls les puissants utilisaient ce média, il est à portée de main de tous grâce au téléphone portable. « La facilité du geste et la vitesse des ondes ont simplement effacé la conscience de l’acte ». Les réseaux sociaux : c’est le miracle de la multiplication des pains. Et les personnages de ce roman le savent et l’utilisent. Nombre de retweets, de partages, de like, de messages whatsapp sont utilisés par les politiques ou porte-parole d’associations en quête de pouvoir. Manipulateurs comme des charmeurs de serpents. Négar Djavadi décrit également la surenchère étourdissante d’émotions des séries et films disponibles sur des plateformes et leur pouvoir hypnotique.

En mettant en parallèle ces fictions et le réel qui devient lui-même fiction à travers ce petit film diffusé sur les réseaux, l’auteur nous donne à réfléchir sur la difficulté à faire la part des choses. La frontière entre réalité et fiction est poreuse. La réussite de ce roman tient également à l’écriture de Négar Djavadi. Pour traduire les hésitations, les silences mais également l’accélération du rythme, l’auteur place des blancs entre les mots, elle hache les phrases, met des mots en gras et en majuscule (on se souviendra du fameux EVENEMENT dans Désorientale). Il n’est pas facile de réussir un second roman après l’énorme succès du premier. Négar Djavadi continue à nous surprendre avec Arène.

Babeth, 20 décembre 2020

Les enfants des autres de Pierric Bailly

Les enfants des autres, de Pierric Bailly« Mon truc à moi c’est plutôt la fuite, la fuite en forêt. C’est comme ça que je réagis quand la situation me dépasse, quand je craque, quand ça déborde. Je sors de la maison et pars marcher une heure ou deux dans les bois. Une heure ou deux… ou bien la nuit entière. Une fois je suis même revenu avec des croissants et du pain frais. »

Bobby vit avec Julie dans une petite ville de province. Il travaille sur des chantiers. Il aime marcher dans la forêt qu’il connaît bien où une découverte macabre vient d’avoir lieu : le corps d’une femme assassinée. Bobby aime rendre visite à sa grand-mère et aime ses enfants. Ses enfants ? Mais ce sont les enfants de leurs amis Max et Alexa, prétend Julie quand Bobby les cherche partout dans la maison. Et Bobby ne sait plus très bien surtout depuis qu’il a surpris, croit-il, Julie avec Max, son meilleur ami, dans une scène sans équivoque. (Résumé éditeur)

Bobby traverse une mauvaise passe. Que se passe-t-il dans sa tête ? Pourquoi tout le monde semble lui dissimuler la vérité ?
Les enfants des autres est un roman à rebondissement, rythmé et haletant, servi par un style fluide et sobre, proche de la langue parlée. L’auteur prend un malin plaisir à déstabiliser le lecteur en disséminant les indices (s’agit-il vraiment d’indices ?) et multipliant les fausses pistes, pour l’emmener dans un récit où vérité et fantasme se mêlent et se confondent.
A travers Bobby et Max, tous deux en proie au doute, Pierric Bailly interroge le désir de paternité, analyse les craintes qui s’emparent des jeunes pères et les regrets éprouvés parfois à l’égard de la vie d’avant.
Sait-on vraiment qui est Bobby et qui est vraiment Max ? Et lequel des deux a l’existence la plus enviable ? Et Julie, pourquoi personne ne semble se préoccuper de sa disparition ? Si vous aimez jouer et perdre pied, vous adorerez ce livre que vous ne pourrez plus lâcher.

Marisa, 14 mars 2020