Deux innocents d’Alice Ferney

Ma dernière lecture n’a pas rejoint l’actualité littéraire de la rentrée mais a plutôt fait un petit pas en arrière pour retrouver le roman d’Alice Ferney « Deux innocents » paru en mars 2023, comme toujours chez Actes Sud.

Dire qu’Alice Ferney est une auteure aimée ne suffirait pas à exprimer le plaisir renouvelé que j’éprouve à la retrouver dans l’écriture. Cette fois encore ne fait pas exception.

De quoi s’agit-il ? D’une femme, la quarantaine modeste, épouse et mère d’un garçon de dix ans, professeur de français dans un établissement associatif, « l‘Embellie », qui accueille des jeunes handicapés mentaux et cognitifs. Cette femme nommée Claire Bodin donne toute son énergie, ses compétences, son amour empathique à sa classe d’élèves mais d’une façon qui fait problème du moins aux yeux de la directrice et de parents blessés dont « La difficulté les écorche et les rend imprévisibles. Je ne les accuse de rien, mais s’ils sont fous de douleur –et je crois qu’ils le sont-, ils deviennent capables de n’importe quoi. Et qui en fera les frais ? Toi. » la préviendra son frère.

Claire n’entend pas la menace, on aurait presque envie de la secouer, cette innocente, et de crier « Au feu ! ». Elle ne la comprend même pas puisque qu’elle sait qu’elle donne tout de tout son cœur, sans la moindre arrière-pensée, assurée d’apporter à ces adolescents le respect et l’amour qu’ils méritent, de permettre par ses méthodes d’enseignement les progrès dont ils sont capables, de susciter leur créativité et leur curiosité enfin de leur redonner de la valeur.  Claire saisit bien pourtant son époque, cette ère du doute, « Le climat général la perturbe (…) Claire se sent navrée par cette civilisation de la suspicion. Comment vivre dans cette ambiance ? Comment exercer un ministère ? » mais « elle surestime le pouvoir de son innocence » et ne voit pas que sa manière d’être peut être interprétée, que les mots sont plastiques et particulièrement le verbe aimer. « Je t’aime beaucoup, je t’aime, tu es important pour moi » trouvé dans un SMS est la preuve de sa corruption et rien n’y résistera. D’ailleurs lors de son procès, c’est un procès des mots qui se tiendra : 

« Depuis le commencement de l’affaire, ses propres mots ne conviennent à personne. On les lui a retirés de la bouche. On a tari sa volubilité habituelle, loyale et chaleureuse »

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En votre intime conviction, de Clémentine Thiebauld

Voici un livre ne relevant ni du roman ni de l’essai mais du témoignage ou plus précisément du récit en immersion, comme l’indique l’éditeur. A ce titre, il pourrait exercer un moins grand pouvoir d’attraction sur un lectorat avide d’histoires imaginaires ou intéressé par la spéculation intellectuelle. Si à cela on ajoute que ce témoignage est l’expérience jour après jour d’une jurée d’Assises, on pourrait être tenté de passer son chemin ou alors, bien au contraire, de se laisser piquer par la curiosité en saisissant cette occasion d’entrer comme par effraction dans un lieu qui en impose terriblement.

Clémentine Thiébaut, journaliste en critique littéraire, est un beau jour désignée par tirage au sort pour devenir le temps d’une semaine une auxiliaire de la justice.

D’abord abasourdie, elle ne sait s’il faut se réjouir ou se désoler de cette nouvelle dont elle pressent qu’elle va terriblement bouleverser l’organisation de son quotidien et provoquer un certain remue-ménage dans le monde de ses pensées et de ses émotions. Elle nous fait vivre presque heure par heure les prolégomènes du procès puis la journée d’une jurée d’Assises qui découvre toutes ses arcanes, ses protocoles, ses coulisses (la salle des délibérés), ses acteurs côté Cour et si j’ose dire côté jardin (les accusés), ses moments d’ennui ou d’agacement mais surtout l’extraordinaire opportunité d’approcher au plus près des semblables à mille lieues de son univers. Mais au-delà de la partie visible de la machine judiciaire, l’auteur nous fait découvrir tout ce qui l’actionne : ses mécanismes, ses règles, ses prescriptions, ses lois et nous permet de soulever les lourds drapés qui voilent l’exercice de la justice.

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