Emmanuel Dongala : « En écrivant, j’aime dire les choses cachées »

Du 14 au 19 novembre, Emmanuel Dongala était à Bordeaux, invité par le festival Lettres du Monde. Nous avions déjà parlé de Photo de groupe au bord du fleuve, cette fois penchons-nous davantage sur son oeuvre, traduite dans une douzaine de langues. 

Les romans d’Emmanuel Dongala s’emparent d’un moment historique plus ou moins proche de notre époque et nous les restituent avec clairvoyance. Alors que son dernier roman, La sonate à Bridgetower nous plonge dans l’Europe du XVIIIème siècle, ses premiers livres décrivaient des périodes plus contemporaines, comme la guerre civile au Congo à la fin des années 90 dans Johnny Chien Méchant ou la lutte de femmes pour tirer un meilleur revenu de leur travail dans Photo de groupe au bord du fleuve.

« Il y a plusieurs écueils à éviter quand on plante des personnages dans un événement marquant comme une guerre civile. Je ne voulais pas tomber dans le journalisme, ni écrire un rapport de l’ONU. Et j’ai dû prendre garde à la subjectivité. J’avais un parti pris quand j’ai écrit Johnny Chien Méchant, puisque je suis originaire d’une région du Congo où était localisé un des groupes partie prenante de cette guerre. J’ai dû prendre du recul. »

De fait, il est parti vivre aux Etats-Unis où des amis l’ont aidé à trouver un poste d’enseignant en chimie, « son métier », comme il aime à le rappeler.

Mais ce qui transcende l’histoire de Johnny Chien Méchant, c’est la construction de la narration autour de l’alternance des points de vue entre ses deux personnages principaux, l’enfant soldat et la jeune fille, écrits chacun à la première personne du singulier. Dans Photo de groupe au bord du fleuve, en revancheEmmanuel Dongala change de point de vue en choisissant la deuxième personne pour raconter son histoire.

« J’ai commencé par utiliser le « je » pour raconter cette histoire de femmes, mais ça sonnait faux. Alors j’ai essayé avec « elle » mais cela donnait trop de distance. Avec « tu », on entend la voix de cette femme se parler à elle-même. C’est sa voix. »

Et le lecteur n’en est que plus près de sa quête de liberté et de dignité.

« En écrivant, j’aime dire les choses cachées. »

Emmanuel Dongala ne cache pas le plaisir qu’il a eu à écrire La sonate à Bridgetower. Racontant l’histoire d’un musicien mulâtre, George Bridgetower, un temps ami de Beethoven, qui lui dédia une sonate avant de retirer sa dédicace pour la donner à un autre musicien, Kreutzer (qui ne la joua jamais), ce roman est le premier dont l’intrigue ne se déroule pas en Afrique. Son écriture a nécessité une longue phase de documentation sur l’Europe du XVIIIème siècle, près de cinq ans, lui donnant une forte densité et une belle érudition. Il est même allé jusqu’à prendre des cours de musicologie dont il semble encore sous le charme !

Mais c’est la description de la place des mulâtres dans la société qui fait l’originalité de ce roman.

« Déjà à cette époque en France on trouvait qu’il y avait trop de noirs. Une police était chargée de les contrôler. Certains étaient bien intégrés et formaient une élite, comme le Chevalier de Saint-George ou le général Dumas, mais cette intégration avait des limites. »

Le parcours initiatique de George Bridgetower traite de la difficile condition noire dans la société et de la mise en question de l’esclavage. Et si Emmanuel Dongala rappelle que Voltaire a écrit des pamphlets contre les noirs, c’est pour mieux citer Condorcet : « Quoique je ne sois pas de la même couleur que vous, je vous ai toujours regardés comme mes frères ».

Emmanuel Dongala nous offre encore une belle lecture … pour notre plus grand bonheur.

Florence, 20 novembre 2017

Rêve général

Il y a quelques jours, le festival Lettres du monde a dévoilé sa programmation 2017. Conçu cette année autour de la thématique du « Rêve général ! », cet événement se déroulera du 14 au 26 novembre dans toute la Nouvelle-Aquitaine.
12 jours de rencontres, 13 pays, 20 invités, 70 rencontres placées sous le signe de l’optimisme.

Et si l’on décidait de ne plus nous recroqueviller devant le chaos du monde ? Et si l’on décidait de s’emparer de la littérature pour nous donner des forces, des rêves, de quoi tenir debout ?

Comprendre que la littérature incarne cet élan vital qui nous permet de traverser les maux propres à notre époque, prendre l’écrivain comme guide, c’est le bel espoir porté par Lettres du monde.

Quel programme réjouissant les amis ! Parmi les auteurs invités, soulignons la venue de Paolo Cognetti (Italie), auteur du très remarqué roman Les huit montagnes (Stock), Emmanuel Dongala (Congo), Kamel Daoud (Algérie) et surtout… Jean Hegland (Etats-Unis) pour son livre Dans la forêt, que nous sommes heureuses de présenter lors de deux rencontres.

Un hommage sera également rendu à Mario Rigoni Stern, écrivain italien disparu en 2008, ami de Primo Levi.

Tant d’autres auteurs à rencontrer et à (re)découvrir…

Quelques temps forts à ne pas rater :
– 22 novembre, 20h30, Rocher de Palmer : « L’homme A. » Un concert lecture avec Sandrine Bonnaire et Erik Truffaz. L’homme Atlantique, suivi de L’homme assis dans le couloir de Marguerite Duras (Minuit).
– 23 novembre, 18h30, Cour d’appel de Bordeaux : « Liberté d’expression, liberté d’écriture : où en sommes-nous ? » Un débat avec Pinar Selek (Turquie) et Kamel Daoud, écrivains, et Richard Malka, avocat à la Cour, spécialiste du droit de la presse et scénariste de bandes dessinées.
– 25 novembre, 19h, Librairie Mollat, Station Ausone : « Clotilde Coureau lit Cookie Mueller ». Lecture d’un extrait de Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noir de Cookie Mueller (Finitude).

Ces trois événements sont soumis à réservation.

Pour plus de détails sur la programmation ou la réservation, une seule adresse : Lettres du monde.

Marisa, 28 octobre 2017