Résine, d’Ane Riel

Peut-on rendre l’horreur poétique ? C’est toute la question qu’évoque le roman noir Résine d’Ane Riel.

La famille Haarder habite une presqu’île du Danemark. L’endroit est isolé, les seuls voisins sont des résineux. Jens a, d’ailleurs, hérité de son propre père, l’amour des arbres et du nectar qui coulent dans leurs veines, la résine, qui a des propriétés de préservation étonnante. Jens forme avec Maria, sa femme et Liv, leur fillette de 7 ans, une famille sauvage. L’auteur décrit les raisons qui mènent la famille à se réfugier à l’intérieur de la presqu’île. La mort du jumeau de Liv, retrouvé gisant dans une flaque de sang au pied de son berceau accélère le repli sur soi de la famille.
En effet, Jens barricade peu à peu sa maison, installe des pièges, accumule toute sorte d’objets provenant de la décharge ou volés de-ci-de-là. Des remparts prennent alors forme, pour protéger la famille du monde extérieur. Maria, la maman, ne sort plus de sa chambre et Liv parvient à peine à se créer un refuge, dans une benne, à l’extérieur de la maison.


Le récit trouve son intensité dans les allers-retours entre passé et présent, décrivant la lente mais terrifiante progression de la folie de Jens, d’autant plus effrayante qu’il y entraine sa fille. J’ai profondément aimé les passages où la narratrice est cette petite fille qui comprend à peine que la situation dysfonctionne. A 7 ans, elle aime son papa et l’accompagne dans ses étrangetés, quitte à se confronter à la mort elle-même. Liv m’a happée dans son histoire et je l’ai suivie avec beaucoup de tendresse, dans le parc d’aventures que représente l’amoncellement des objets de son père. Sa voix m’a beaucoup troublée, entre naïveté et réalité crue, ce qui place le lecteur à l’écart de l’horreur des évènements dont Liv est partie prenante. De plus, l’ambiguïté morale des personnages est un autre argument du livre. Jens, dans sa folie, agit paradoxalement pour sa famille qu’il aime. Je crois que la poésie nait à ce moment dans le livre, entre amour et nature, la folie se fraye un chemin vers l’horreur.

Bérengère, le 28 juin 2021

Frère d’âme de David Diop

Dès les premières pages, Frère d’âme vous précipite dans une horreur indicible, celle de la Grande Guerre. La scène inaugurale a pour décor un champ de bataille désert et silencieux. Seule âme qui vive, le jeune Alfa Ndiaye est allongé aux côtés du corps de son frère d’arme, son ami d’enfance qui agonise, éventré.

Pendant que les autres s’étaient réfugiés dans les plaies béantes de la terre qu’on appelle les tranchées, moi je suis resté près de Mademba, allongé contre lui, ma main droite dans sa main gauche, à regarder le ciel bleu froid sillonné de métal.

Incapable de répondre aux supplications de ce moribond qui lui demande le coup de grâce, Alfa Niaye est une âme perdue, errante, à jamais égarée. La folie n’est pas loin, la sauvagerie prend corps, insidieusement. L’Afrique lui manque, cette terre où il vivait autrefois avec Mademba, le sacrifié.

A la fois récit de résistance et de résilience, où âme, chair et terre sont intimement liées, Frère d’âme nous fascine. Très maîtrisée, l’écriture de David Diop est intense et poétique. Certains passages, répétés plusieurs fois, sonnent comme une incantation, écho d’un monologue intérieur répété en boucle par le survivant. De ce texte surgit une musique envoûtante qui nous accompagne et continue de nous hanter, même lorsque le récit prend fin.

Marisa, 27 septembre 2018.

Derniers feux sur Sunset

Avec Derniers feux sur Sunset, Stewart O’Nan offre à ses lecteurs une belle biographie romancée des dernières années de la vie de Francis Scott Fitzgerald.

L’auteur de Gatsby le magnifique est au crépuscule de sa vie, criblé de dettes et alcoolique. En 1937, il part s’installer à Hollywood avec l’espoir que sa notoriété d’écrivain lui permette de participer à quelques scenarii et d’avoir ainsi son nom au générique d’un film. Il quitte donc l’est des Etats-Unis, laissant Zelda en proie à la folie, internée dans un hôpital psychiatrique, et leur fille Scottie en pension. Mais les studios hollywoodiens ne font pas grand cas de Fitzgerald, à qui ils confient l’écriture de scénarii de films faciles et sans envergure, pour les lui retirer presque aussitôt et les confier à d’autres scénaristes. Il est traité comme un écrivaillon interchangeable, ce qui renforce son sentiment que ses faits d’écriture sont derrière lui.Lire la suite »

Notre château d’Emmanuel Régniez

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Depuis la mort accidentelle de leurs parents, Octave et Véra vivent retirés du monde, reclus dans une grande maison baptisée « Notre Château ». Le frère et la sœur ne fréquentent personne et ne reçoivent aucune visite. Rien ne trouble cette dyade fraternelle composée depuis une vingtaine d’années, à l’abri du temps et des regards, nichée dans cette forteresse familiale.

Les seuls visiteurs autorisés sont les livres qu’Octave part acheter chaque semaine à la librairie du centre ville.

Lire, c’est leur seule façon d’être au monde.Lire la suite »