Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes, de Lionel Shriver

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes est le titre français du dernier roman de l’écrivaine américaine Lionel Shriver dont la traduction est sortie en septembre 2021 chez Belfond. Et c’est le premier roman de cette auteure que je lis. Après un court moment de flottement en début de lecture dû sans doute à l’accumulation très dense d’informations sous forme de dialogues et de considérations diverses, je me suis vite habituée à la plume alerte de l’auteure : j’ai été séduite par l’acuité et l’humour corrosif avec lesquels elle scrute aussi bien les relations individuelles que certains mécanismes de la société américaine (et par là-même de nos civilisations occidentales). Et ce ne sont pas les auteur.e.s de génie qui manquent dans ce registre aux Etats-Unis !
Alors de quoi s’agit-il plus précisément ?

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Nancy Huston présente «Arbre de l’oubli» dans le cadre de Lettres du Monde. Retour sur un moment intense.

Jeudi 25 novembre, grâce au festival Lettres du monde, nous avons eu la joie d’écouter Nancy Huston à la médiathèque du Bouscat. Elle présentait son roman Arbre de l’oubli sorti cette année chez Actes Sud. Nancy Huston parle très bien français. Canadienne de naissance, ayant vécu une partie de sa vie aux Etats-Unis, elle est arrivée en France à l’âge de 20 ans pour ses études (elle travaille alors sous la direction de Roland Barthes à l’Ecole des hautes études en sciences sociales) et écrit un mémoire sur les jurons, Dire et interdire, publié en 1980. Elle a reçu de nombreux prix dont : en 1996, le prix Goncourt des lycéens et le prix du livre Inter pour Instruments des ténèbres ; en 1998, le grand prix des lectrices de Elle pour L’Empreinte de l’ange ou en 2006 le prix Femina pour Lignes de faille. Elle est musicienne, et la musique est une source d’inspiration pour cette grande autrice.

Nombre de ses romans sont écrits dans sa langue maternelle mais elle s’est rendue compte que de traduire elle-même ses romans en français lui permettait d’améliorer la première version. Ce roman Arbre de l’oubli va suivre trois personnages en parallèle, à différentes époques. Peu de ces romans suivent l’ordre chronologique.

 « Dans la vie, on est obligés de vivre la vie en ordre chronologique, on n’a pas le choix. Quand on a le choix, autant inventer autre chose. »

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Le jeu de la dame, de Walter Tevis

Il arrive parfois que la télévision et le cinéma contribuent à sortir de l’oubli une œuvre littéraire disparue des rayons des librairies. Répondant au succès de la série diffusée sur Netflix, les éditions Gallmeister ont publié à la mi-mars une nouvelle traduction du roman Le jeu de la dame, de Walter Tevis (1928-1984), qui a fait l’objet de cette adaptation. Une très bonne idée.

L’histoire. Kentucky, 1957. Après la mort de sa mère, Beth Harmon, neuf ans, est placée dans un orphelinat où l’on donne aux enfants de mystérieuses « vitamines » censées les apaiser. Elle y fait la connaissance d’un vieux gardien passionné d’échecs qui lui en apprend les règles. Beth commence alors à gagner, trop vite, trop facilement. Dans son lit, la nuit, la jeune fille rejoue les parties en regardant le plafond où les pièces se bousculent à un rythme effréné. Plus rien n’arrêtera l’enfant prodige pour conquérir le monde des échecs et devenir une championne. Mais, si Beth prédit sans faute les mouvements sur l’échiquier, son obsession et son addiction la feront trébucher plus d’une fois dans la vie réelle.

Les raisons du succès. Ce livre parle d’échecs, mais il n’est absolument pas indispensable de connaître les manoeuvres et les stratégies d’attaque de ce jeu pour y trouver un réel plaisir de lecture. La magie fonctionne, et Walter Tevis nous tient en haleine de la première à la dernière page. Nous en avons eu la preuve en échangeant avec d’autres lecteurs : chacun vous dira qu’il ne pouvait plus lâcher le livre tant la tension dramatique était intense. Dans le sillage de la jeune prodige Beth Harmon, nous vivons des parties d’échecs endiablées, comme si ce n’était pas les pions, mais notre vie qui était en jeu : cavalier en dame cinq, variante sicilienne, pion en roi quatre… Le mécanique implacable est en marche, le suspense à son comble, jusqu’au verdict : Walter Tevis nous met échec et mat.

Marisa, 12 avril 2021.

Fantômes de Christian Kiefer

Eté 1945. Newcastle, Californie. Le sergent nippo-américain Ray Takahashi revient dans sa ville natale après avoir combattu en Europe. Il retrouve son pays, la maison de son enfance et les lieux qui lui sont chers, mais aucun membre de sa famille n’est là pour l’accueillir. Les habitants qu’il croise peinent à le reconnaître dans son uniforme de soldat américain, lui qui ressemble tant à un Japonais, lui dont le visage est devenu celui d’un étranger, d’un indésirable.

Cette histoire, c’est John Frazier qui nous la raconte. Nous sommes en 1969, et John revient lui aussi d’une guerre, celle du Vietnam. Il est vivant, alors que tant de ses frères d’arme y ont laissé leur peau. Il est vivant, mais alcoolique et drogué, hanté par les souvenirs du combat, du sang, des cris, des flammes et des avions Phantom auxquels il communique les coordonnées des troupes ennemies, afin qu’ils les bombardent. Pour chasser ses démons et ses fantômes, il trouve un travail de pompiste et se met à écrire pour survivre, comme le soldat vietnamien de Bao Ninh dans Le chagrin de la guerre que Christian Kiefer cite en exergue du livre.

Dans le cœur du soldat, la souffrance de la guerre ressemblait étrangement à celle de l’amour. C’était une espèce de nostalgie, pareille à l’infinie tristesse et un manque, une douleur capable de vous projeter brusquement dans le passé.

 
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