« La littérature ne m’a pas aidé, elle m’a sauvé » Joseph Ponthus

A la ligne de Joseph Ponthus

« J’avais lu Marx, mais même lorsqu’on lit Marx dans tous les sens, on ne peut pas savoir ce que c’est de se retrouver sur une chaîne de production. »

La librairie Mollat accueillait en début de semaine Joseph Ponthus, auteur d’un premier roman très remarqué et remarquable : À la ligne, publié à La Table ronde.

Sous-titré Feuillets d’usine, ce roman raconte les journées de travail d’un ouvrier intérimaire enchaînant différents contrats dans des usines agroalimentaires.
Ce travail à la chaîne, Joseph Ponthus l’exerce par nécessité. Lorsqu’il déménage en Bretagne à quarante ans, « par amour », il ne trouve pas de boulot. Il n’a pas le choix. Crevettes, poissons panés et abattoir constitueront désormais son quotidien, deux ans et demi durant.
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Tu retrouves, je découvre… Houellebecq

Conversation entre Yves Kafka et Isabelle à propos de Sérotonine.

Isabelle : Yves, tu es un fidèle lecteur de Michel Houellebecq. De roman en roman, pourquoi y reviens-tu ?

Yves : Pourquoi Houellebecq ? Parce qu’il agit sur moi comme une sorte de baume anesthésiant de toute volonté de souhaiter un monde idéal. Houellebecq a quelque chose de rassurant, en ce sens qu’il pratique un lâcher-prise total, par rapport au bien penser et au politiquement correct. Avec lui, c’est comme si on était déchargé de toute la noirceur de l’âme, de toutes les idées limites que l’on peut avoir à certains moments, parce qu’il ose absolument tout, et avec un bonheur qui est réjouissant. C’est ce que j’aime chez Houellebecq. Par ailleurs, je trouve que l’aspect désespéré de toutes les histoires qu’il nous raconte et de tous les personnages qu’il met en scène n’est absolument pas désespérant, au contraire, pour moi, il est vivifiant. J’aime ce qu’il raconte, j’aime cet homme.Lire la suite »

Petit déjeuner avec Maylis de Kerangal

©Sébastien Perchec/Lire en Poche 2018

Lors du salon Lire en poche 2018, j’ai eu le plaisir d’animer un petit déjeuner littéraire avec Maylis de Kerangal, marraine du salon. L’auteure a tout de suite émis le vœu que les participantes (pas d’homme, comme trop souvent dans ce genre d’occasion !) se présentent. Outre l’intérêt qu’elles portent à l’écriture de ses romans, ces dames avaient toutes une raison bien personnelle de s’intéresser à l’un ou l’autre de ses ouvrages. On mettait là d’emblée le doigt sur la diversité des thématiques traitées par l’auteure. Réparer les vivants fut le roman le plus souvent cité.

Une des participantes aborde l’adaptation à l’écran de ce roman et demande à Maylis de Kerangal de quelle façon elle est intervenue dans la réalisation du film. En fait, comme Maylis nous l’explique, lorsqu’un écrivain signe un contrat de cessions avec l’éditeur, il cède à l’éditeur les droits d’exploitation de son texte, ce qui vaut pour le livre mais aussi pour une éventuelle adaptation au cinéma et au théâtre (sachant que l’auteur peut ne pas signer certaines cessions). De ce fait, on ne peut à la fois vendre les droits à un producteur et en même temps vouloir intervenir dans la réalisation à la place du réalisateur.Lire la suite »

Le travail d’écriture de Philippe Djian

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Lire en poche 2018 proposait un grand entretien avec Philippe Djian. Après avoir dévoré Oh…, la série des Doggy Bag ou l’inoubliable 37,2° le matin, je ne pouvais pas manquer cette rencontre. D’apparence peu accessible, Philippe Djian nous a livré ses pensées (tous azimuts) sur l’écriture, sans langue de bois. Retour sur ces Uppercuts désenchantés.

Lorsqu’il écrit, Philippe Djian part sans savoir où il va. La première phrase est lancée comme une amorce, et l’histoire se déroule sans plan préétabli.

Je ne reprends jamais l’amorce. Je refuse d’être ennuyé par l’histoire. Ce qui m’intéresse vraiment, c’est comment les personnages réagissent face aux petits ou aux gros problèmes, comment ils arrivent à vivre, ou pas, ensemble. Je ne mets pas l’histoire au premier chef. Mais écrire un bouquin sans histoire, ce serait sacrément compliqué.

L’idée est de se servir de l’histoire pour développer des thèmes qui lui sont chers. Qu’est ce que c’est que la normalité ? Ou le pardon ?

Je mets des personnages dans une boîte. Ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent sauf sortir sans me demander la permission. J’invente des facettes, je ne m’inspire jamais de personnes que je connais.

Pour lui, il n’y a pas une palette de sentiments étendus qui nous font avancer dans la vie. C’est toujours l’amour, la haine, la passion, la tristesse, la folie… Il faut savoir comment les recycler, s’en resservir. L’histoire va lui permettre de mettre en place un mode de narration.

Faire tenir une phrase debout c’est très compliqué. Le vrai travail de l’écrivain c’est de s’intéresser à la langue. Si vous êtes un apprenti écrivain bouleversé par Proust par exemple, est ce que vous allez essayer de le copier ou essayer d’arriver à son niveau d’écriture ? On peut faire un pas de côté et faire différemment : changer l’angle. C’est ce que j’essaie de faire, car les écrivains qui m’ont bouleversé, ont changé mon regard.  La littérature, ce n’est pas anodin, mes plus grandes émotions, je les ai eues à travers la littérature.

Philippe Djian pense également qu’en écriture, il n’y a pas de mauvais genres:

Il y a de mauvais écrivains, mais pas de mauvais genre.

Pour conclure, il nous parle également de la société d’aujourd’hui et du rôle de l’écrivain:

Je ne comprends pas comment on peut vivre sans lire. Je pense que les écrivains sont utiles dans la vie des hommes. A un moment, il faut rendre ce qu’on nous a donné sinon humainement vous ne valez pas grand chose. Il faut être ébloui par la langue. Il y a une volonté, une envie, une obligation presque de donner la part que l’on a à donner mais aussi de la rendre.

Cet intérêt constant pour le style chez Djian vous donnera peut-être envie de lire cet auteur. Pour ma part je l’apprécie pour son côté « grande gueule » et parce qu’il ose dire qu’il « ne veut pas laisser le roman populaire aux seules mains d’auteurs médiocres » !

Babeth, 4 novembre 2018
Crédit photo Les Liseuses de Bordeaux