Les Eclats, de Bret Easton ELLIS

Le dernier roman de Bret Easton Ellis publié l’année passée, est avant tout une affaire de « climats »… Quelle sorte de climat définit les relations au sein d’un groupe d’adolescents, dans un lieu et à une époque précise, sur Mulholland Drive dans les années 80 ? Comment ce climat, imperceptiblement, change-t-il, se détériore-t-il et finit-il par précipiter ses personnages dans un inarrêtable tourbillon ?

Dans ce roman, Bret Easton Ellis mêle autobiographie, l’époque de ses 17 ans, lorsqu’il commence à écrire son futur premier roman Moins que zéro, et fiction. Ou plutôt osons dire que les éléments de fiction qu’il ajoute à sa propre histoire (le danger qui rôde sur la ville, incarné par l’arrivée d’un nouveau camarade de classe) permet de mieux rendre compte de la tension, l’infinité des possibles, la nocivité… que revêtaient pour lui la réalité de l’époque.

L’ambiance, le décor ? Le « décor » est tout dans ce roman, la Californie, des gosses aux parents ultra riches et absents, abandonnés à leurs villas luxueuses et leurs piscines chauffées au soleil blanc… Lycéens, leurs préoccupations oscillent entre devoirs à faire, avenir à construire, et alcool et cocaïne à consommer. Les amours, les corps, le sexe prennent bien entendu la place prépondérante qui leur revient dans cet univers adolescent. Piégés dans un monde vénéneux qui ne leur propose plus guère de limites, Bret et ses camarades se vouent à leurs désirs, leurs plaisirs, leurs espoirs, leur désœuvrement… Pour Bret, il y a plus déjà, la distance de l’écrivain qui le marginalise et la nécessité
de cacher son homosexualité.

Et tout ce long roman « roule » à 100 % là-dessus : l’atmosphère, l’interpénétration de la normalité, de la préservation des apparences, et du mystère avec le mal qui rôde et la fin d’un monde, celui de l’enfance, encore un peu là pourtant. Tout au long de l’histoire qui est donc avant tout une affaire d’ambiance et d’observation des micro-évènements qui sont autant de points de bascule, nous sommes complètement pris, happés par des presque riens, pourtant si importants…

Et on comprend mieux pourquoi en lisant l’avertissement de Bret Easton Ellis :

« … un roman est un rêve qui exige d’être écrit exactement comme vous tomberiez amoureux : il devient impossible de lui résister, vous ne pouvez rien y faire, vous finissez par céder et succomber, même si votre instinct vous somme de lui tourner le dos et de filer car ce pourrait être, au bout du compte, un jeu dangereux – quelqu’un pourrait être blessé. »

France, juin 2024

Les éclats, Bret Easton Ellis, 10/18, mars 2024

Sans armure

Ce texte court est un concentré d’émotions. Pour raconter la vie de Brune, Cathy Ytak démarre son récit par une dispute. Yannick va chercher à retrouver l’être aimée en se tournant vers son passé. Brune n’est pas une fille comme les autres. C’est un maillon faible qui s’est protégé en se fabriquant une armure « indispensable quand on est trop sensible dans un monde qui ne l’est pas assez ». Ses parents étaient déjà hors normes, vivant dans la forêt. Mais en l’envoyant à l’école, ils ne se rendent pas compte du décalage entre leur fille et les autres enfants. Son monde à elle est fait de couleurs et de connexions avec la nature. C’est un livre sur les différences. L’auteur évoque la synesthésie, le métissage, l’homosexualité, le handicap avec délicatesse.

Sans armure n’est pas un texte sorti sans douleurs. Cathy Ytak l’a repris alors qu’elle le croyait en perdition. De bonnes rencontres au bon moment lui ont permis d’aller au bout de ce projet. Cela donne un texte dense et sensible où je trouve des similitudes avec l’écriture de Jeanne Benameur. A lire sans tarder.

Babeth, 2 janvier 2021

Nos années sauvages

karen-jay-fowler-nos-annees-sauvages-liseuses-de-bordeauxJe viens de terminer Nos années sauvages de Karen Joy Fowler quelques heures après l’avoir commencé. Drôle et dramatique à la fois, sérieux et optimiste, c’est le roman à lire cet été.

Rosemary Cooke a vingt-deux ans, elle est étudiante en Californie. Au cours d’une soirée (un peu nunuche, soirée étudiante oblige) entre étudiantes où chacune raconte sa famille, Rosemary est incapable de dire quoi que ce soit. De toute façon, elle préfère ne rien dire. Pourtant elle a un père, une mère, un frère et une sœur. Ce que Rosemary ne veut pas ébruiter, c’est la disparition de sa sœur alors qu’elle n’avait que cinq ans; ce qu’elle ne veut pas dire, pour ne pas être jugée, c’est que sa famille s’est éteinte et décomposée. Nos années sauvages, c’est l’histoire de la famille Cooke racontée par Rosemary, petit à petit, morceau par morceau, dans un récit enjoué, drôle parfois.Lire la suite »