Cette nuit de Joachim Schnerf

Cette nuit, par Joachim Schnerf

Le court roman de Joachim Schnerf, édité dans la collection de poche des éditions Zulma, nous livre des pages extrêmement émouvantes dans leur sobriété sur l’amour et le deuil, sur la tendresse dans les relations humaines. Mais c’est l’humour, un humour noir parfois décapant, qui donne sa tonalité au récit.

L’auteur y met en scène toute une galerie de personnages, issus d’une famille juive strasbourgeoise dans le cadre de la fête juive de Pessah. Le long repas de Pessah, le Seder, est excessivement ritualisé,  entrecoupé d’histoires, de chants, de lectures de la Haggadah; sur la table, toujours les mêmes aliments symboliques, qui commémorent et font revivre à chaque participant – en particulier aux enfants – la sortie d’Egypte du peuple juif et la fin de son esclavage.

Cette initiation aux rites judaïques, inhérente à la cohérence du récit, est d’ailleurs fort intéressante.

Salomon, le patriarche narrateur, vit dans la douleur de la disparition de sa femme bien-aimée, survenue il y a deux mois. Ce soir, sa famille et lui se réuniront pour la première fois depuis la mort de Sarah pour célébrer la Pâque juive. Le vieil homme tout à sa perte anticipe le Pessah à venir et se demande s’il trouvera la force de mener la cérémonie et d’assurer la transmission de cet événement fondateur de l’identité juive.

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Ce qu’il faut de nuit

laurent petitmangin ce qu il faut de nuit

Nous vous avons réservé une petite sélection de premiers romans de la rentrée littéraire. Aujourd’hui, le premier roman de Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de nuit (La manufacture de livres), en librairie ce 20 août.

Résumé éditeur C’est l’histoire d’un père qui élève seul ses deux fils. Les années passent et les enfants grandissent. Ils choisissent ce qui a de l’importance à leurs yeux, ceux qu’ils sont en train de devenir. Ils agissent comme des hommes. Et pourtant, ce ne sont encore que des gosses. C’est une histoire de famille et de convictions, de choix et de sentiments ébranlés, une plongée dans le cœur de trois hommes.
Laurent Petitmangin, dans ce premier roman fulgurant, dénoue avec une sensibilité et une finesse infinies le fil des destinées d’hommes en devenir.

L’extrait  « Ils étaient beaux mes deux fils, assis à cette table de camping, Fus déjà grand et sec, Gillou encore rond, une bonne bouille qui prenait son temps pour grandir. Ils étaient assis dos à la Moselle, et j’avais sous mes yeux la plus belle vue du monde. Mon regard allait des coteaux presque dans l’obscurité à leurs visages bien éveillés, francs, éclairés par notre lampe-tempête. J’étais content ce soir-là et tous ceux qui avaient suivi. Je profitais de cette période. Il y avait déjà trois mois que la moman était partie, j’avais évacué la peur de ne pas y arriver, de ne pas faire face à tout ce qu’il y avait à organiser, à gérer. Tout ce que j’avais déjà entrevu depuis trois ans. C’était terrible à dire, mais c’était presque plus facile maintenant qu’il n’y avait plus l’hôpital, les soirées et les dimanches passés à attendre. Presque plus facile. Si elle m’avait entendu. C’était pourtant vrai, et les vacances n’avaient jamais autant mérité leur nom. »

On aime… 
Entendre la voix de ce père qui ploie mais tient bon, portant à bout de bras ses deux fils jusqu’à l’âge adulte, parfois déçu et couvert de honte, parfois fier, toujours présent pour eux. 
Ressentir sous la plume de l’auteur la pudeur de ce père, celui d’un coeur simple, un taiseux, un homme à l’affection maladroite. L’auteur habite les personnages avec justesse, finesse et une discrète empathie.
Lire ce récit social et familial, ode aux petites gens à qui la vie ne fait pas de cadeaux. Ni caricatural ni larmoyant.

Un premier roman tout en délicatesse, en tout point abouti
Il arrive parfois dans la vie d’un lecteur que des personnages de roman l’accompagnent quelque temps, lovés dans un coin de sa mémoire. Ce fut le cas pour moi ici. Longtemps après avoir refermé ce livre j’ai repensé à ce père et ses fils. Et si les choses s’étaient passées autrement. Et si…?

Marisa, 20 août 2020

Le réveil des sorcières

Aujourd’hui, Bérengère partage son dernier coup de coeur pour Le réveil des sorcières de Stéphanie Janicot, paru en janvier dernier chez Albin Michel.

Que transmettons-nous à nos enfants ? Existe-t-il une transmission spécifique entre femmes ? Où est la frontière entre la vie et la mort ?
Stéphanie Janicot tente de répondre à ces questions dans son roman Le réveil des sorcières.

Le réveil des sorcières, de Stéphanie Janicot

Une jeune adolescente, Soann, perd sa mère dans un accident de voiture et se retrouve seule avec sa grande sœur. Elle appelle une amie de sa mère, la narratrice, et lui confie ses doutes. La jeune fille est persuadée que sa mère a été assassinée. Les deux protagonistes vont partir sur les traces de cette femme, Diane, guérisseuse. Elle était de celles qu’on appelait sorcières, il n’y a pas si longtemps, et qu’on brûlait vives.

L’auteur interroge ainsi le rôle d’une telle femme dans les campagnes bretonnes et le regard admiratif, mêlé de crainte, posé sur elles. J’ai aimé ce livre car Stéphanie Janicot cherche à comprendre ce besoin de magie qui peut nous animer pour comprendre ce qui ne peut pas toujours l’être, comme la mort. De plus, elle laisse la place au doute tout en restant pragmatique, ce qui rend l’histoire humaine et touchante.

Bérengère, 18 mars 2020

Avant que j’oublie

Avant que j'oublie, d'Anne PaulyAvec ce post se termine l’exploration des cinq romans sélectionnés pour le Prix des lecteurs-Escale du Livre 2020. 

Ecrire sur un sujet grave avec une grande pudeur et une bonne dose de dérision, c’est possible !
Sur un ton très personnel, Anne Pauly nous fait partager une aventure humaine incontournable : le deuil d’un parent.

Anne affronte la mort de son père et le cafard qui s’en suit. Ce père était un homme complexe, pas facile à aimer, alcoolique longtemps puis, sur le tard, désireux d’une relation apaisée avec ses enfants. Après sa mort, en organisant son enterrement, en rangeant sa maison, en lisant des lettres, Anne découvre d’autres facettes de ce père qu’elle avait appris à aimer « malgré tout ». Derrière l’image de ce vieil homme unijambiste et bordélique se dessine un adolescent amoureux, un ami fidèle, un père fier de ses enfants.

On partage avec cette femme adulte qui se sent désormais orpheline, les moments de solitude, de doute, de douleur et les attendrissements pour ce père qui la fatiguait avec ses manies et ses grigris mais l’appelait « ma doucette » et l’aimait si maladroitement. Anna Pauly sait aussi, et c’est un des charmes de ce livre, nous faire sourire, souvent. L’enterrement, avec ses rites absurdes et les zombies des pompes funèbres, est un moment réjouissant. Il y en a de nombreux autres dans ce livre à la fois tendre et drôle. Anne Pauly sait débusquer dans les situations les plus tristes et les plus banales, le grain de folie, d’étrangeté, la part d’absurdité.

Avant que j’oublie est un premier roman profond et juste sur la façon dont on peut apprivoiser la disparition et toucher ainsi à une forme de sagesse. C’est aussi un très savoureux moment de lecture.

Isabelle, 11 mars 2020