Hervé Le Tellier à Lire en poche : une conférence à haut potentiel philosophique

Ce dimanche matin, Hervé Le Tellier dont le dernier livre « Le nom sur le mur » est paru cette année aux éditions Gallimard, s’est livré à un captivant entretien modéré par Sylvie Hazebroucq, en voici quelques bribes.

« Le nom sur le mur », quel point de départ ?

C’est l’histoire de l’acquisition d’une maison pour travailler, seul et à plusieurs, pour passer des vacances aussi. Et, durant le confinement, une découverte… un nom sur le mur de sa propriété, un nom dont il ne saura jamais qui l’a écrit, le nom d’André CHAIX. Peu après il retrouve le même nom sur le Monument aux morts de son village : André Chaix, 1924-1944, ainsi commencent ses recherches sur la vie de cet homme. Mort à 20 ans en 1944, c’était forcément un maquisard, quelques indices plus tard, une boîte avec quelques effets personnels, des photos, et il découvre sa vie.

Ses découvertes font profondément écho à un questionnement ancien chez lui, celui de savoir ce que ses parents, ses grands-parents ont fait à cette époque, celui de savoir ce qu’il aurait fait lui et une évidence « je ne sais pas ce que j’aurais fait ».

A partir de cette question à la réponse impossible, il s’interroge sur « le potentiel en chacun de nous que seuls les évènements peuvent révéler ». Il cite ainsi Günter Grass dont on peine à penser qu’il fût embrigadé dans les Waffen SS à l’âge de 15 ans, Günter Grass qui témoigne du fait qu’à cette époque les Waffen SS n’incarnaient pas le Mal pour le jeune allemand qu’il était mais l’élite… et H. Le Tellier de conclure en disant que « l’on n’est jamais à l’abri d’une bifurcation néfaste, jamais ».

Et parce que ce qui nous fait bifurquer dépend aussi beaucoup de « notre capacité à résister à l’autorité », son livre l’a amené à approfondir l’expérience de Milgram et d’autres expériences de même nature qui montrent la tendance au mimétisme de l’être humain, quitte à faire souffrir un autre être humain ou à reproduire un acte dénué de sens. Pour aborder le mal, Hervé Le Tellier montre à partir de ces expériences notre besoin de conformité sociale, de contribution à la reproduction de ce qui est perçu comme une norme, aussi absurde ou injuste soit-elle, notre disposition native à vouloir appartenir à quelque chose de plus grand que l’individu : le groupe. Cette disposition dit selon Hervé Le Tellier « le désir de l’homme d’être en harmonie avec le monde, même si le monde est fou ».

Contre cette folie, quels remparts ?

Pour Hervé Le Tellier, il y en a trois, le troisième étant le plus important, les deux premiers étant nécessaires mais pas suffisants : la culture, le savoir, la fidélité.

C’est ainsi qu’Hervé Le Tellier nous explique que la culture et le savoir seuls ne sont rien sans la conviction « qu’un autre être humain ne peut jamais être considéré comme inférieur ». Cette conviction, cet impératif, c’est l’idée de fraternité qui pour Hervé Le Tellier surpasse et englobe les impératifs de liberté et d’égalité. La fidélité, c’est la fidélité à cet idéal. Cette fidélité c’est par exemple celle de la fille de la fiancée d’André Chaix qui, née d’un autre homme et d’une mère qui a su refaire sa vie, garde pourtant précieusement le souvenir de cet homme qui n’est rien pour elle dans une enveloppe dont elle partagera le contenu des décennies plus tard avec Hervé Le Tellier…

« Le nom sur le mur » en un mot ?

Le nom sur le mur est l’histoire d’une rencontre fortuite, la rencontre avec un nom sur un mur, une pure contingence donc qui permet pourtant à Hervé Le Tellier d’exprimer ses convictions les plus profondes et d’aborder un sujet autour duquel il dit avoir tourné depuis toujours. Cette découverte lui permet de l’aborder cette fois « un peu plus frontalement ».

Quel lien avec son précédent livre, « L’anomalie » Goncourt 2020 ?

« Je voulais profiter de la visibilité du Goncourt pour parler d’un jeune résistant de mon village, pour dire le caractère vital de son combat ». 

La contingence est pour Hervé Le Tellier au cœur de nos existences et de son roman. Ainsi, pour lui, « on dessine une cible là où est tombée la flèche ». C’est la contingence qui est profondément déterminante à ses yeux. La contingence d’un nom sur un mur qui pourtant l’a poussé au plus près de là où il voulait aller et de ce sur quoi il voulait écrire.

France, octobre 2024

Le nom sur le mur, Hervé Le Tellier, Gallimard, avril 2024

Les partisans, de Dominique Bona

Dominique Bona, académicienne, romancière et biographe talentueuse (elle a écrit une biographie de Stefan Zweig, de Romain Gary, de Berthe Morisot ou de Paul et Camille Claudel) nous offre, depuis la publication des Partisans en 2023, la possibilité d’un moment de lecture passionnant et pour mon compte, passionné.

Qui sont donc ces Partisans ? Joseph Kessel et Maurice Druon. Des noms qui éveillent de merveilleux souvenirs de lecture chez ceux qui sont nés au mitan du vingtième siècle. Mais se souvient-on aujourd’hui de ces deux hommes, au moins sous leur identité d’écrivains ? Car ils furent en leur temps deux monuments de notre histoire littéraire dont les œuvres telles que L’armée des ombres, la passante du Sans-souci, Belle de jour, Le Lion pour Joseph Kessel ou Les grandes familles, les Rois Maudits pour Maurice Druon eurent un succès retentissant et durable et parfois planétaire.

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Le mystère de la femme sans tête, de Myriam Leroy

Et d’un hasard naquit la révolte… Une promenade en période de confinement réalisée dans un cimetière pour qu’elle puisse s’étirer un peu plus, une pierre tombale retraçant d’un mot nu et brutal la destinée de la défunte qui gît là, quelques coïncidences perçues comme des signes, l’entrecroisement de lieux faisant écho à la vie de l’auteure et celle-ci se décide à faire justice à Marina Chafroff-Maroutaëff, un nom qui avait tout pour marquer l’Histoire mais qui tomba tout simplement dans l’oubli. A faire justice à celle qui aurait dû devenir un personnage historique, et un peu à elle-même aussi.

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