Poissons rouges et autres bêtes féroces

Le titre du recueil de nouvelles d’Ella Balaert publié aux éditions Des femmes – Antoinette Fouque, accroche, suscite des interrogations. Le livre, une fois que j’en ai commencé la lecture, n’a pas déçu un instant ma curiosité : je suis entrée dans un monde merveilleux dans lequel réel et surnaturel s’entrelacent subtilement.

Les dix-sept nouvelles sont toutes dotées d’un titre qui désigne un animal. C’est ainsi qu’on y rencontre des poissons rouges, une araignée, un faucon, un vieux matou, des chiens et même une amibe et bien d’autres représentants du règne animal dont la valeur symbolique révèle de manière féroce et parfois malicieuse le versant obscur de l’âme humaine, ses pulsions secrètes, les conflits impitoyables qui opposent les hommes aux femmes, les puissants aux faibles, les adultes aux enfants…

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Chavirer de Lola Lafon

En 1984, Cléo, issue d’une famille modeste, a 13 ans. Après un passage humiliant dans un cours de danse classique privé, elle s’inscrit à la Maison des Jeunes et de la Culture de son quartier à Fontenay, pour y faire du modern Jazz. Une révélation pour Cléo qui va s’impliquer au maximum. Alors quand Cathy, jeune femme chic venant de Paris, vient lui proposer d’obtenir une bourse délivrée par la fondation Galatée, Cléo et sa famille vont y voir l’opportunité de réaliser ses rêves de danseuse. Mais il s’agit d’un piège, un piège sexuel qui va se refermer sur elle et dans lequel elle va embarquer d’autres collégiennes.

En 2019, un appel à témoin est passé à la fois par la police et par une émission de télévision afin de retrouver les victimes de cette fondation.

Chavirer, Lola Lafon, éditions Actes Sud

Cléo est alors mère de famille, ancienne danseuse dans les émissions de télévision du samedi soir. Rattrapée par son passé, elle est rongée par la culpabilité d’avoir entrainé avec elle d’autres collégiennes et occulte complètement le fait d’avoir été une victime.

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Les choses humaines de Karine Tuil

Alexandre vit la plupart du temps aux Etats-Unis pour ses études. Il est brillant et c’est un sportif émérite. Ses parents vivent en France.

Jean Farel, son père, est un grand journaliste politique. Personnalité la plus aimée des français, il soigne son image à coup de tweets et de photos dans les magazines. Il passe pour un bon père et un époux fidèle. Dans la réalité, il mène une double vie, pousse son fils à être le meilleur et n’hésite pas à être violent avec lui.

Claire, la mère d’Alexandre est essayiste. En épousant Jean, de 27 ans son aîné, elle a vu sa carrière exploser. Et lorsqu’elle décide de le quitter, plus personne ne s’intéresse à son travail. Féministe, elle a élevé son fils dans le respect de l’autre. Elle intervient souvent dans les médias contre les violences faites aux femmes.

Mila Wizman a été élevée dans une famille juive. Après un acte terroriste dans son école, elle part vivre avec les siens en Israël. De retour en France, ses parents se séparent. Mila part quelques temps vivre avec sa mère à Brooklyn dans le quartier juif orthodoxe. Ne supportant pas l’éducation rigoriste, elle vient s’installer en France chez son père qui a refait sa vie avec Claire. C’est ainsi qu’elle rencontre Alexandre.

Deux êtres totalement différents, de par leur statut et leur éducation. Lui a un parcours de jeune élite à qui tout réussit. Mais il est aussi narcissique, il a une grande aisance avec le langage. Il a une sexualité libérée dans les actes et un langage parfois ordurier. Mila est majeure et a eu des rapports sexuels avec un homme marié. Son rapport au sexe est différent, de par son éducation juive ultrapratiquante. Un soir, ils partent ensemble à une fête et ont des rapports sexuels.

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Île

Le roman de Siri Ranva Hjelm Jacobsen est construit sur le mouvement des vagues, un aller et un retour. La narratrice y raconte la vie de ses grands-parents, Marita et Fritz sur les îles Féroé, leur départ pour le Danemark et leur nouvelle vie. Puis, s’insère son récit, celui de son propre voyage dans ces îles, à la mort de sa grand-mère. Il est imprégné d’une grande douceur, celle que crée la nostalgie d’un pays perdu. Dans le même temps, une colère se fait sentir comme un orage grondant au loin. Le pays d’accueil devait être une terre « promise », il n’en garde que le nom.

Le style de l’auteur est composé de phrases courtes, très imagées. Son écriture nous entraîne dans une nature brute, transcrite avec une simplicité des mots et en même temps, laisse toute sa place au rêve, c’est d’une très grande poésie. La sobriété de l’écriture rend aussi hommage aux habitants car elle leur confère un caractère qui se confond avec la géographie, la mer, les montagnes. Finalement, l’auteur suggère plus qu’elle ne dit réellement, laissant au lecteur le soin d’imaginer les paysages, les tempêtes, et sa propre histoire de migration, conférant au roman une dimension universelle.

C’est la grande force du texte, laisser le lecteur imaginer les îles Féroé plutôt que les lui décrire. J’ai beaucoup aimé me balader sur les landes, parcourir les montagnes et me confronter à l’océan tempétueux. Les couleurs que j’ai rencontrées, dans différents camaïeux de bleu, vert, gris me faisaient confondre la terre et le ciel, à la rencontre des Féroïens. J’ai remonté le fleuve, là où les souvenirs de la narratrice se mêlent à son présent, où les morts sont encore vivants parce qu’on se remémore un peu de leur vie, un trait de caractère pour, à la fois, reconstituer son arbre généalogique et le faire vivre, dans son imagination.

Bérengère 22 novembre 2020