Lorsque Camille Kouchner, Paul Gasnier et Sorj Chalandon se rencontrent à la Foire du livre de Brive, c’est l’occasion pour ce dernier de nommer ce qui selon lui les réunit dans leur style d’écriture : « on pourrait être obscènes, on ne l’est pas, on reste raisonnables, on ne fait pas les malins ».
De fait, si Camille Kouchner signe ici son premier roman Immortels et s’adonne à la fiction à partir de cette très belle et obsédante question « qu’est-ce qu’on fait de son enfance quand on devient adulte ? », Paul Gasnier, lui, présente un premier récit littéraire et autobiographique, La collision, au travers duquel le narrateur est à la fois le fils en deuil et le journaliste qui s’intéresse à l’accident qui a causé la disparition de sa mère et qui s’origine dans la collision de deux mondes, l’un privilégié, bien né, tourné vers les autres, l’autre abandonné, laissé pour compte d’une République qui n’est plus inclusive depuis longtemps.
Tandis que Camille Kouchner narre l’amitié de deux enfants que tout lie et relie, Paul Gasnier montre comment un monde met fin à un autre et Sorj Chalandon (Le livre de Kells) comment une autre violence a fait de lui celui qui a cherché à se sauver de sa famille puis de la rue en n’étant ni proie ni prédateur. Des errements d’adultes, des drames familiaux ou sociaux, des histoires de violences, voilà ce qui réunit ces trois auteurs qui se refusent à tout manichéisme. Preuve en est les mots de Sorj Chalandon qui ayant fui un père d’extrême-droite brutal et tortionnaire, tient à dire à propos de lui, loin de toute facilité, cette phrase très lucide et très belle : « Je ne suis pas que le contraire de ce qu’il a été ».
Le 25 septembre dernier, comme nous vous l’avions annoncé, les Liseuses ont eu l’honneur de modérer la rencontre avec Delphine Bertholon grâce à l’invitation de la Médiathèque du Bouscat. Carine nous avait contactées cet été très enthousiaste à l’idée de faire découvrir aux lecteurs de la médiathèque cette auteure qu’elle suit depuis très longtemps et dont elle admire les qualités littéraires et humaines. Comme elle a pu nous le dire, Le soleil à mes pieds notamment, lui a laissé un souvenir de lecture percutant et bouleversant.
Cette rencontre que j’ai eu l’immense plaisir de modérer nous a permis d’aborder de très nombreux sujets, l’écriture de D. Bertholon en littérature générale mais également jeunesse et aussi en tant que scénariste, les apports croisés de ces différents genres dans son style et sa méthode de travail, ses goûts littéraires, ses sources d’inspiration, la façon dont on retrouve entre ses différents romans des échos d’un personnage à l’autre, d’une situation de vie à l’autre. Ce fût également l’occasion de parler bien sûr de son actualité littéraire avec la sortie cette année de La baronne perchée chez Buchet-Chastel que nous vous recommandons chaudement.
La baronne perchée ou l’histoire de Billie, 12 ans, bientôt 13, qui vit avec Léo, un père jeune, de plus en plus absent, qui boit trop et vit une paternité subie car marquée par la mort de sa compagne à la naissance de leur fille. Comme D. Bertholon le dit et nous amène à le ressentir, bien que Léo mette quelques jours à découvrir la disparition de sa fille, il ne lui manque pas grand-chose pour être un bon père. Au moment où nous faisons sa rencontre, il en est pourtant bien loin et Billie ne supportant plus cette distance entre eux fait une fugue en lui laissant sur son lit Le baron perché d’Italo Calvino pour tout indice. Billie met donc Léo au défi de la retrouver et d’exprimer son amour pour elle dans cette recherche qui va nécessiter qu’il essaie de se mettre à sa place. Au milieu de cette situation, un homme inconnu et mystérieux rôde ou attend quelque chose, un homme qui détient peut-être certaines clés.
Comme souvent dans les romans de D. Bertholon, il y a donc une part de mystère et surtout des conditions qui peuvent permettre de changer la vie d’une façon ou d’une autre si l’on s’en saisit. Cependant, vous l’aurez compris, les conditions, dans La baronne perchée, c’est avant tout Billie qui les crée et cela a été l’occasion d’échanger longuement avec l’auteure sur ses personnages qui sont souvent adolescents ou jeunes adultes (parfois l’un et l’autre lorsqu’on les rencontre à la fois adolescents puis jeunes adultes restant marqués par un évènement de leur adolescence). Ce fût ainsi passionnant d’échanger sur la pré-adolescence et l’adolescence qui sont pour D. Bertholon l’âge des possibles, celui auquel le regard que l’on porte sur le monde revêt une ambition, une justesse, un rapport à la vérité que les années émoussent ensuite. On pourrait parler de « fraîcheur » mais c’est bien plus que cela, et ses personnages nous permettent réellement de nous reconnecter avec un idéalisme dans le meilleur sens du terme, un idéalisme qui nous montre tout ce qui dans notre vie ne cesse de dépendre avant tout de nous. Comme elle a pu nous le dire, D. Bertholon croit dans les vertus de la vérité dans les liens familiaux, amicaux, amoureux ou plus précisément, elle est persuadée de la nocivité du mensonge et du silence dans les relations intimes. Ses personnages sont d’ailleurs souvent les otages ou les rescapés d’une dissimulation qui les a marqués au sceau d’un désalignement originel qui ne cesse de ricocher ensuite aux différentes étapes de leur vie.
Pour que vous puissiez vous faire une idée de ses romans si vous ne les avez pas encore découverts, je vous dirais qu’ils allient deux choses essentielles pour moi, style littéraire et plongée dans la vie des personnages que l’on suit pas à pas et dont on ausculte les désirs, les contradictions, les peurs, les souvenirs, des personnages jamais manichéens qui nous embarquent, dont on se souvient et qui nous inspirent au-delà du temps de lecture de ses romans.
Un immense merci à Delphine Bertholon pour ce très beau moment de partage, authentique et convivial et à l’équipe de la médiathèque du Bouscat, Carine, Vincent, Mathilda et Jean-Luc pour leur accueil si chaleureux qui nous a conquises. On revient quand vous voulez !
France, octobre 2025
La baronne perchée, Delphine Bertholon, Buchet-Chastel, 2025
Jeudi 25 septembre à la Médiathèque La source du Bouscat à 19h00, les Liseuses auront l’honneur et le grand plaisir d’échanger avec Delphine BERTHOLON. France sera la modératrice de cet événement qui vous permettra de découvrir l’auteure et ses romans, particulièrement son tout dernier roman La baronne perchée, paru en février 2025 chez Buchet Chastel.
Soucieuse de ne pas se « déculotter », de ne pas tomber dans l’exhibitionnisme, Lydie Salvayre, choisit de partager ses « notes égotiques » sur ses traits de caractère sans chercher à les classer, les justifier, les expliquer.
Les souvenirs, les scènes parfois traumatisantes sont révélatrices de cette introspection qui se fait pas à pas.
Il y a la honte toujours présente, liée à la pauvreté, sans vacances, sans voiture, sans restaurant, sans superflu, sans les premières lectures faute de moyen. C’est grâce à M. Filhol, son professeur, que Lydie Salvayre pourra accéder à la littérature.
Ces livres vont devenir mon refuge,
Ma gourmandise préférée après le chocolat,
Ma volupté, mon vice, mon ivresse,
Ils vont me venger de ma honte et de ma timidité…Je ne lis pas calmement posément, rêveusement. Je lis en sauvage, en affamée, en ogresse. Je lis fougueusement et cette fouge avec le temps ne cesse de croitre.