La vengeance m’appartient, de Marie N’Diaye

Bordeaux et ses proches environs sont les lieux où se situe l’action du dernier roman de Marie N’Diaye, La vengeance m’appartient, publié en 2021 chez Gallimard.

Marie N’Diaye se saisit de cette ville qui lui est familière mais ne la réduit pas à un décor. Au contraire, elle lui accorde une fonction métaphorique dans cette histoire qui ne laisse pas d’inquiéter. Nous sommes en hiver, Bordeaux est humide et gelée comme la mémoire gelée de Me Susane, comme la colère d’un client persuadé de porter le nom d’un négrier et qu’il veut changer « pour se dégager de l’ignominie ».

Avocate à Bordeaux, Me Susane est saisie d’une affaire horrifiante, l’assassinat de trois enfants par leur mère, dont le mari, Gilles Principaux, est celui en qui elle pense reconnaître un adolescent croisé à l’époque de son enfance, un souvenir qui n’arrive pas à briser la glace de sa mémoire.

L’impression violente qu’elle avait éprouvée quand Principaux était entré pour la première fois dans son bureau, cette impression qu’elle l’avait connu jadis à Caudéran et que cette unique mise en présence, cette singulière bataille avaient engendré « Maître Susane », elle ne la retrouvait pas. 

Ce patronyme, Principaux, l’amène à enquêter sur cet évènement passé devenu illisible. Elle associe à ce questionnement ses parents vivant à La Réole, sa femme de ménage Sharon, une femme sans papier, vivant à Lormont. Toute une géographie sociale est mise en place.

A Me Susane – c’est ainsi qu’elle est froidement nommée tout au long du roman, sans qu’un prénom ne vienne jamais dessiner une identité – Marie N’Diaye donne une voix intérieure, fenêtre ouverte sur ses pensées et ses sentiments dans une langue dense, charnue où il est question de « flétrissure », de « profanation » et de « martyrs », qui parle de douleurs morales infligées par cet événement passé, cette « une tumeur enkystée ».

Rien n’est lumière dans ce roman de Marie N’Diaye, parce que ce Bordeaux hivernal est particulièrement sombre et froid, parce que le mal est diffus, pas toujours identifiable mais terriblement attaché à notre humanité, parce que nos questionnements de lecteur se heurtent constamment à une fin de non recevoir.

C’est d’ailleurs bien là tout l’intérêt de ce roman qui interroge la mémoire faillible, oublieuse mais aussi à l’affût, capable de geler une existence douloureusement en quête de son identité. Il est inutile donc d’attendre que l’auteur livre un résultat ou un dénouement. L’énigme reste entière mais les drames qui se jouent dans ce roman occupent l’esprit longtemps après la lecture.

Véronique, le 21 juillet 2022

La vengeance m’appartient, Marie N’Diaye, Gallimard, 2021.

Ces bordelais qui ont fait l’histoire, d’Isabelle de Montvert-Chaussy

Voici une bonne idée de cadeau de Noël, que vous soyez bordelais ou pas. Personnellement, je ne le suis pas et ça ne m’a pas empêchée d’apprécier ce bouquet de portraits étonnants qui m’a permis de découvrir des personnalités que je ne connaissais pas.  C’est le cas de l’affriolante Theresia Cabarrus qui, au 18e siècle, multiplie les amants, dont Tallien, l’homme fort de Danton. Ou encore Anna Hamilton, médecin et pionnière de la professionnalisation des infirmières au début du 20e siècle. Cet ouvrage permet également d’améliorer nos connaissances de personnes célèbres comme Rosa Bonheur, femme peintre, amie des animaux, ou Marie Laforêt, la fabuleuse chanteuse et comédienne. Non, il n’y a pas que des portraits de femmes ! Mais mon choix s’est porté instinctivement vers celles-ci. Que voulez-vous, on ne se refait pas ! Et c’est tout l’intérêt de ce livre : un index où chaque personne est identifiée par une phrase qui nous interpelle, et la possibilité de le lire de façon chronologique ou pas. Il y a évidemment Montesquieu, Mauriac ou Chaban-Delmas. Mais aussi Toulouse Lautrec, Cousteau, Danielle Darrieux et j’en passe. Isabelle de Montvert-Chaussy, journaliste à Sud-Ouest, brosse une cinquantaine de portraits d’une grande diversité en donnant à chacun le ton qui lui convient. 

Babeth, le 16 décembre 2021

Ces bordelais qui ont fait l’histoire, Isabelle de Montvert-Chaussy, Le Papillon Rouge Editeur.

Soirée d’inauguration du marathon littéraire INSITU

J’ai eu la chance d’encadrer un groupe inscrit pour cette soirée atypique aux Archives de Bordeaux Métropole. Pour Lettres du monde, venir en ce lieu chargé d’histoire, pour ce cinquième anniversaire d’Insitu, est un symbole fort : c’est ici qu’a eu lieu la première édition. 
L’auteur Négar Djavadi avait carte blanche pour organiser cette soirée. Fruit d’un travail considérable, elle nous a proposé des lectures qu’elle avait choisi de faire dans des lieux insolites.

BALCON

Tout a commencé pour notre groupe sur le balcon qui relie les bureaux des archivistes. C’est depuis la salle de lecture que nous avons écouté Négar Djavadi nous lire un passage d’Une chambre à soi de Virginia Woolf, Mathieu Ehrhard La vie de Frederick Douglass, esclave américain, écrite par lui-même et Gaëlle Battut Les passeurs de livres de Daraya de Delphine Minoui. Puis Patricia, l’archiviste qui nous accompagnait, nous a dirigé vers les magasins d’archives du 4ème étage.

Là, nous attendaient Stéphanie Cassignard et Jérôme Thibault pour une lecture intimiste de Lire Lolita à Téhéran d’Azar Nafizi.

 

Le marathon a continué au 1er étage dans un couloir où la violoncelliste Julie Läderach et le comédien Alexandre Cardin ont réalisé un sublime duo sur le texte de Ray Bradbury Fahrenheit 451.

 

Pour finir en beauté, c’est devant la plaque originale de la Déclaration de 1789, pilonnée le 5 mai 1793 après la chute de la monarchie, que le poète slameur Souleymane Diamanka nous a ému par ses mots symbolisant parfaitement le thème de cette édition : la liberté.

 

La cerise sur le gâteau fut la rencontre entre Négar Djavadi et Delphine Minoui. Venue spécialement d’Istanbul suite à l’invitation de Négar et de Lettres du monde, cette grande reporter et auteure nous a bouleversé par son témoignage et son rayonnement. Cette rencontre était ponctuée d’extraits du documentaire que Delphine Minoui a co-réalisé avec Bruno Joucla, d’après son livre Les passeurs de livres de Daraya (Seuil, 2017).

CONFERENCE DELPHINE MINOUI

Il est plus de 22 h et j’ai perdu la notion du temps, tellement émue par l’histoire de cette bibliothèque secrète de Daraya. C’est sur le parvis des Archives que les discussions continuent entre comédiens et participants à cette chaude soirée.
Un grand merci au personnel des Archives pour leur implication dans cet évènement et rendez-vous ce week-end pour ce marathon littéraire, dans des lieux insolites et décalés à Bègles, Bordeaux et Cenon.
Bravo à l’équipe de Lettres du monde !

Babeth, 6 juin 2019

Pour aller plus loin :
Daraya, la bibliothèque sous les bombe : entretien avec le réalisateur

 

La malle aux livres des Comptoirs de Magellan

Je ne remercierai jamais assez mon amie Agnès de m’avoir fait découvrir, il y a bien longtemps, cette boutique de Bordeaux : Les Comptoirs de Magellan. C’est devenu un incontournable lorsque je dois faire des achats en ville. On y trouve de tout : une bonne bouteille de vin au sous-sol, un portefeuille en cuir de buffle à l’étage, et au rez-de-chaussée, au milieu d’une vaisselle délicate et des pulls colorés … des livres. A la veille de Noël, j’avais envie de vous faire un cadeau : partager avec vous, si vous ne le connaissez pas déjà, ce lieu magique. Et la meilleure façon de le connaître, c’est de faire parler ses propriétaires…

Quand et comment est né ce magasin ? En 2003 dans la canicule d’un été trop chaud… Nous étions quatre anciens de Nature et découvertes à vouloir partager notre soif de voyages. Notre but : satisfaire les voyageurs réels ou imaginaires au travers de la littérature, de la culture, des objets, des senteurs et des saveurs. Nous avons aussi une zone enfant pour sensibiliser les plus jeunes à la diversité du monde.

Indépendant ou chaîne de magasin ? Nous  sommes une entreprise à taille humaine avec trois magasins (à Bordeaux, Libourne et la Teste). Pas de logique de chaînes ou de business-plan de grande expansion. Notre développement se fait au fil des rencontres.

Comment choisissez-vous les livres (et romans en particulier) que vous vendez ? Nous ne sommes pas inféodés à l’office. Les livres que nous avons sont référencés par Roxane qui a suivi une formation de philo et métiers du livre. C’est un mélange de nouveautés, de fond et surtout de coups de coeur. Nous vendons aussi des livres à des personnes qui ne rentrent pas forcément dans les librairies traditionnelles. 

Quels sont les livres que vous vendez le plus ? En cette période de fêtes (mais cela fluctue avec nos coups de cœurs et nos dernières lectures… tout est  relatif), voici quelques exemples : 

Encore des nouilles (chroniques culinaires) de Pierre Desproges
Le restaurant de l’amour retrouvé de Ito Ogawa
Les fiancés de l’hiver de Christelle Dabos, un super roman ado/adulte qui se dévore

Quels sont vos coups de cœur lecture, vos conseils pour Noël ?
Le royaume des voix, roman espagnol d’Antonio Muñoz Molina. Roman choral magnifique qui évoque, à travers de multiples personnages, la vie des habitants d’un village perdu au fin fond de l’Andalousie sur une centaine d’années. Un chef d’oeuvre : il donne la voix à des sans voix, des témoins de leur temps courageux.

Underground Railroad de Colson Whitehead. Fuite d’une esclave noire du Sud à travers un réseau clandestin d’hommes voués à les aider. Beau roman, le sujet est tellement ardu : doter une esclave presque analphabète d’une pensée réflexive sur l’identité noire qui revendique et prend conscience de son propre pouvoir politique dans cette Amérique blanche terrorisée par cette force. Après Toni Morrison, c’est courageux d’écrire sur le sujet.

La chorale des maîtres bouchers, roman de Louise Erdrich.

L’incroyable histoire de Wheeler Burden, de Selden Edwards. Passé un peu au travers de la critique… Un enfant qui naît juste après la guerre, de bonnes fées qui semblent régir sa vie… Et pan ! Un matin, il se réveille dans la Vienne des années 30. Belle histoire, originalité et surprise jusqu’à la fin.

Le bourreau de Gaudi, polar de Aro Sainz de la Maza. Haletant, original, impossible à lâcher !

En jeunesse, nous vous conseillons tous les romans de Jean-Claude Mourlevat : on aime Le combat d’hiver, Le chagrin du roi mort ou Terrienne.

En récit de voyage, nous aimons beaucoup Sylvain Tesson : nous vous conseillons tout de lui !

 

Propos recueillis par Babeth, décembre 2017

Les Comptoirs de Magellan se trouvent :
16 rue Ravez à Bordeaux
32 place Abel Surchamp à Libourne
251 avenue du Parc des Expositions à La Teste-de-Buch