Le dernier roman d’Alice Ferney, Comme en amour forme une sorte de diptyque avec La Conversation amoureuse paru en 2000, pourtant ce « comme » s’il introduit l’analogie, met en relief la différence au travers de deux histoires de sentiment qui finissent par s’entremêler étroitement tout en se distinguant complètement par leur différence de nature.
L’auteur explore ici la philia et non l’éros où les protagonistes ont le corps en commun, au contraire de la philia où l’amour sans le corps, c’est-à-dire l’amitié, met en jeu bien d’autres « communautés ». L’accord des goûts, ici celui de la littérature, mais pas des loisirs partagés, « l’un et l’autre pensant que l’intimité a des limites », l’entente des sensibilités, « ce je ne sais quoi » qui fait de l’amitié « ce coup de foudre existentiel » dont parle Louis Guilloux à propos de son amitié avec Camus.
Les personnages qui construisent ce roman sont au nombre de trois.
D’abord il y a Marianne Villette, créatrice à succès de sacs à main de luxe. Elle est mariée et a 3 enfants. Puis il y a Cyril Blot, photographe professionnel dans le monde de la mode et de l’art en général. Il est célibataire sans enfants. Ces deux-là se rencontrent lors d’un rendez-vous professionnel chez Marianne. Enfin apparait un peu plus tard Julia Magre, le coup de foudre et grand amour de Cyril, celle qui introduira, à son corps défendant, le déséquilibre dans la relation entre Marianne et Cyril.
Comme dans La Conversation amoureuse, Alice Ferney fait dialoguer inlassablement et nécessairement ses personnages. Les mots qui remplacent les corps, dans leur flux ou dans leur silence construisent puis déconstruisent la relation que l’auteur balise en courts chapitres par des verbes énonçant toutes les étapes de l’amitié et sa progression en un mouvement ascendant puis descendant. Entre Se rencontrer et Se perdre de vue, qui ouvrent et ferment la narration, tout ce qui vient nourrir ou entamer la relation est abordé. Comme toujours Alice Ferney a chaussé ses loupes pour transcrire dans son écriture d’entomologiste tous les sentiments et ressentiments de ses personnages.
Ce pacte d’amitié, sans contrat oral ou écrit est cependant soumis à condition s’il veut s’accomplir dans la durée. La première condition serait l’équilibre, l’égalité dans la relation. Dans Kolkhoze, Emmanuel Carrère parle de « la répugnante distance entre l’admiré et l’admirateur » impensable dans l’amitié où l’estime réciproque est la donnée fondamentale.
Une seconde condition : le respect de la confidentialité. « Rien ne détruit la confiance comme le tourniquet de la parole à l’intérieur d’un groupe restreint » et lorsque ce « pacte naturel de silence » est rompu, l’amitié est ébranlée et trahie. Mais l’amitié n’est pas une forteresse bien gardée, elle peut être assiégée par un tiers pour son propre intérêt, et cet air pur est alors vicié par un souffle extérieur. Alors que pour Marianne et Cyril « la barrière entre les sexes s’abolissait dans l’ivresse de la confession », Alice Ferney les fait finalement entrer dans la guerre des sexes car « à l’amitié s’ajoutait et peu à peu s’opposait la solidarité ». L’amour va bientôt instrumentaliser l’amitié et la solidarité entre femmes va prévaloir sur la neutralité. Cyril pour qui « la famille, c’est l’amour qui en voulant durer se tire une balle dans le pied » refuse l’enfant que porte Julia pour des raisons purement égoïstes dont Marianne est « le témoin indiscret ».
Alice Ferney pose la question : « Reste- t-on ami avec quelqu’un qui se tient mal ? ».
La question de l’estime, toujours.
Véronique, novembre 2025
Alice Ferney, Comme en amour, 2025 chez Actes sud

