C’est beau un homme quand même. Un homme, un vrai. Un homme comme Baptiste Beaulieu qui respecte les femmes, qui les soutient parce qu’il les voit dans son cabinet, il les entend.
« Ma femme est en pleine ménopause. Elle est de mauvaise humeur. J’ai droit à rien, même pas à une petite caresse de dépannage de temps en temps ». Sa femme se débat avec les bouffées de chaleur, les sautes d’humeur, le moral en berne, le maelström hormonal, et lui en bon gros mâle pourri gâté, il boude parce qu’il n’a même pas droit à ses caresses « de dépannage ». Alors oui, tu le sais, on te dira « pas tous les hommes », comme si tu ignorais ce qu’est une généralisation abusive ! Et bien tu t’en fous : tant qu’il restera un seul pourri, il en sera de la responsabilité des autres de l’écarter, le temps qu’on lui inculque ce qu’il faut de respect et de dignité. Albert Camus disait « un homme ça s’empêche ».
Ce médecin, chroniqueur sur France Inter, qui ose dire les inégalités, les injustices, est aussi un écrivain. Alors lisez le, et en particulier Tous les silences ne font pas le même bruit. Il nous parle de sexualité, de toutes les sexualités mais surtout d’amour entre les êtres, quel que soit leur sexe. Nous vivons dans une société où nos identités sont politiques.
Ce dimanche matin, Hervé Le Tellier dont le dernier livre « Le nom sur le mur » est paru cette année aux éditions Gallimard, s’est livré à un captivant entretien modéré par Sylvie Hazebroucq, en voici quelques bribes.
« Le nom sur le mur », quel point de départ ?
C’est l’histoire de l’acquisition d’une maison pour travailler, seul et à plusieurs, pour passer des vacances aussi. Et, durant le confinement, une découverte… un nom sur le mur de sa propriété, un nom dont il ne saura jamais qui l’a écrit, le nom d’André CHAIX. Peu après il retrouve le même nom sur le Monument aux morts de son village : André Chaix, 1924-1944, ainsi commencent ses recherches sur la vie de cet homme. Mort à 20 ans en 1944, c’était forcément un maquisard, quelques indices plus tard, une boîte avec quelques effets personnels, des photos, et il découvre sa vie.
Ses découvertes font profondément écho à un questionnement ancien chez lui, celui de savoir ce que ses parents, ses grands-parents ont fait à cette époque, celui de savoir ce qu’il aurait fait lui et une évidence « je ne sais pas ce que j’aurais fait ».
A partir de cette question à la réponse impossible, il s’interroge sur « le potentiel en chacun de nous que seuls les évènements peuvent révéler ». Il cite ainsi Günter Grass dont on peine à penser qu’il fût embrigadé dans les Waffen SS à l’âge de 15 ans, Günter Grass qui témoigne du fait qu’à cette époque les Waffen SS n’incarnaient pas le Mal pour le jeune allemand qu’il était mais l’élite… et H. Le Tellier de conclure en disant que « l’on n’est jamais à l’abri d’une bifurcation néfaste, jamais».
Et parce que ce qui nous fait bifurquer dépend aussi beaucoup de « notre capacité à résister à l’autorité », son livre l’a amené à approfondir l’expérience de Milgram et d’autres expériences de même nature qui montrent la tendance au mimétisme de l’être humain, quitte à faire souffrir un autre être humain ou à reproduire un acte dénué de sens. Pour aborder le mal, Hervé Le Tellier montre à partir de ces expériences notre besoin de conformité sociale, de contribution à la reproduction de ce qui est perçu comme une norme, aussi absurde ou injuste soit-elle, notre disposition native à vouloir appartenir à quelque chose de plus grand que l’individu : le groupe. Cette disposition dit selon Hervé Le Tellier « le désir de l’homme d’être en harmonie avec le monde, même si le monde est fou ».
Contre cette folie, quels remparts ?
Pour Hervé Le Tellier, il y en a trois, le troisième étant le plus important, les deux premiers étant nécessaires mais pas suffisants : la culture, le savoir, la fidélité.
C’est ainsi qu’Hervé Le Tellier nous explique que la culture et le savoir seuls ne sont rien sans la conviction « qu’un autre être humain ne peut jamais être considéré comme inférieur ». Cette conviction, cet impératif, c’est l’idée de fraternité qui pour Hervé Le Tellier surpasse et englobe les impératifs de liberté et d’égalité. La fidélité, c’est la fidélité à cet idéal. Cette fidélité c’est par exemple celle de la fille de la fiancée d’André Chaix qui, née d’un autre homme et d’une mère qui a su refaire sa vie, garde pourtant précieusement le souvenir de cet homme qui n’est rien pour elle dans une enveloppe dont elle partagera le contenu des décennies plus tard avec Hervé Le Tellier…
« Le nom sur le mur » en un mot ?
Le nom sur le mur est l’histoire d’une rencontre fortuite, la rencontre avec un nom sur un mur, une pure contingence donc qui permet pourtant à Hervé Le Tellier d’exprimer ses convictions les plus profondes et d’aborder un sujet autour duquel il dit avoir tourné depuis toujours. Cette découverte lui permet de l’aborder cette fois « un peu plus frontalement ».
Quel lien avec son précédent livre, « L’anomalie » Goncourt 2020 ?
« Je voulais profiter de la visibilité du Goncourt pour parler d’un jeune résistant de mon village, pour dire le caractère vital de son combat ».
La contingence est pour Hervé Le Tellier au cœur de nos existences et de son roman. Ainsi, pour lui, « on dessine une cible là où est tombée la flèche ». C’est la contingence qui est profondément déterminante à ses yeux. La contingence d’un nom sur un mur qui pourtant l’a poussé au plus près de là où il voulait aller et de ce sur quoi il voulait écrire.
France, octobre 2024
Le nom sur le mur, Hervé Le Tellier, Gallimard, avril 2024
Trente ans après sa première édition chez Seghers L’envol d’Icare de Jacques Lacarrière propose à nouveau sa lecture aussi passionnante que nourrissante. L’auteur prolonge notre connaissance du mythe d’Icare, son envol et sa chute, en nous offrant huit clefs d’interprétation parmi toutes celles existantes, ses différentes versions et représentations picturales, tant ce mythe est inépuisable.
Si Icare, cet homme-oiseau, incarne le désir des hommes de se libérer de l’apesanteur jusqu’à manifester sa démesure dont il sera puni, le sens et l’intérêt de son mythe repose sur son invention technique : des ailes artificielles qui pourront être reproduites et imitées jusqu’à conduire des aspirants bien réels à rejoindre l’azur mais qui tous chuteront mortellement.
Ta chute, écrit Lacarrière à Icare, a servi d’exemple non à ceux qui rêvaient de voler mais à ceux qui vivent sans rêve.
Lacarrière démontre que les mythes ne meurent jamais, et particulièrement ceux qui mettent en scène des héros foudroyés parce que « ceux qui sont censés penser ne s’intéressent jamais aux gens heureux ». Il fallait donc chuter pour gagner l’immortalité.
Véronique, septembre 2024
L’envol d’Icare, de Jacques Lacarrière, éditions Seghers, mai 2023
Vendredi prochain commenceront les Escales du livre pour trois jours de rencontres, expositions, lectures et spectacles en lien avec la littérature. Un programme riche auquel les Liseuses de Bordeaux participeront. Nous vous proposons de déguster sans modération un dialogue entre Lauren Malka (invitée pour son récit-enquête Mangeuses, Histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès ed. Les Pérégrines) et Juliette Oury (pour son premier roman Dès que sa bouche fut pleine, chez Flammarion). Babeth sera la modératrice de cet événement où il sera question de cuisine et de gourmandise, de patriarcat et de féminisme, de tabous du corps et de sexualité.
Rendez-vous à 15h, à la Brasserie du Port , 8 Rue du Port, à Bordeaux