La saison des bêtises de Mathilde Henzelin

Avant de commencer à parler de ce premier roman saisissant, je tenais à écrire quelques lignes sur cette maison d’édition : Les Avrils.  Fondée en 2020 par Sandrine Thevenet et Lola Nicolle, elle a déjà publié 39 ouvrages dont La petite Bonne de Bérénice Pichat et Camille va aux anniversaires d’Isabelle Boissard qui ont fait l’objet d’articles au sein des Liseuses. Personnellement, j’en suis à mon troisième ouvrage de cette maison, et je suis conquise par les auteurs talentueux qu’elle abrite. Une de mes dernières découvertes : Poupées Roumaines de Marie Khazrai ! Une histoire familiale qui nous entraîne dans les profondeurs et secrets d’une famille de femmes de l’Europe de l’Est. Ecrit dans un style théâtral et énergique, Marie Khazrai se plonge dans ses racines, tente de comprendre les liens intra familiaux et les silences de cet univers matriarcal où l’inceste  a creusé une brèche. En lisant ces trois livres, j’ai apprécié la singularité, l’élan créatif et l’engagement sur le sujet traité par ces trois autrices. Chacun d’eux a laissé une trace en moi, leurs personnages m’habitent encore.

Dans La Saison des bêtises, Mathilde Henzelin, jeune scénariste de 34 ans, nous parle d’un sujet obsédant qu’est l’addiction. Pas n’importe laquelle, celle aux drogues dures. Elle nous raconte une partie de la vie de Victoire, de ses 25 à 30 ans, de manière intime, parfois crue et âpre sur son rapport à la drogue. Elle la livre avec beaucoup de sensibilité et de finesse et, comme dans un journal de bord, nous confie son quotidien et ses traversées. Elle nous parle des rencontres qu’elle fait qui sont facilitées par les drogues, ses passages à l’acte, son addiction croissante et plus au moins maîtrisée, les ressentis de son corps avec ses « hight » et ses descentes. Un travail d’écriture profondément sensoriel qui oscille en permanence.

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Tarentule d’Eduardo Halfon : prix Médicis Etranger 2024

« Ils nous ont réveillés en criant. Nous étions couchés sur nos lits de camps dans l’immense tente verte. Pas un des douze ne se risquait à ouvrir la bouche. Pas un n’osait bouger dans son sac de couchage. J’ai tourné la tête dans le lit d’à côté. Dans la lumière opaque de l’aube, j’ai trouvé le visage de mon frère qui, lui aussi, me contemplait, m’interrogeant du regard sur ce qui se passait dehors, ce que signifiait tous ces cris…Quelqu’un s’approchait de notre tente… Sur le seuil se dressait la silhouette de Samuel Blum, notre instructeur, notre ami et protecteur inconditionnel, mais à présent vêtu d’un uniforme noir, une matraque à la main, éructant des cris et des ordres qu’aucun enfant allongé-là ne comprenait. Sur son bras gauche- il m’a fallu un moment pour m’en rendre compte-marchait une énorme tarentule. »

Ce qui m’a en premier lieu attirée vers ce livre, c’est cette couverture. Ce jeune enfant casqué, au garde à vous et tenant une arme aussi haute que lui, ça dérange. Il a ce regard dur et défiant d’un être qui a vu et vécu des choses trop difficiles pour son âge. Il m’a saisie quand je suis passée devant le rayonnage, et m’a surtout interrogée. J’ai eu besoin d’en savoir plus, j’ai acheté ce livre de cet auteur que je ne connaissais pas et je ne l’ai pas lâché. Un livre qui mérite selon moi l’honneur qui lui a été fait.

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Rencontre en petit comité avec Gaelle Nohant au salon Lire en Poche

Cette année, j’ai eu le grand plaisir de pouvoir modérer le petit déjeuner littéraire entre Gaelle Nohant et les dix participants de cette rencontre. Le thème du salon était « Exils ».

Ce thème est souvent abordé dans ces romans. Notamment dans La femme révélée où son personnage principal doit quitter son pays, ses racines, et son fils pour sauver sa vie. Son dernier livre, Le bureau d’éclaircissement des destins, s’y consacre savamment. Irène, enquêtrice française à l’ITS de Bad Arolsen en Allemagne, se voit confier pour mission de restituer les objets retrouvés sur les camps de concentration aux descendants des victimes. Une mission fastidieuse qu’elle accomplira avec beaucoup d’humanité et qui la conduira sur les traces de ces hommes et femmes disparus tragiquement. Un roman qui est vrai historiquement, Gaelle Nohant ayant lu plus de deux cents ouvrages afin qu’il n’y ait aucune marge d’imprécisions. Un engagement envers son lectorat mais surtout envers les descendants des victimes.

Gaelle Nohant a pu nous raconter les coulisses de ce livre qu’elle a commencé à écrire en 2020. A l’époque, Gaelle Nohant prévoit un voyage sur place pour s’imprégner de l’atmosphère, élargir ses recherches afin de construire son roman. Le confinement va bloquer ce projet et c’est à distance mais en lien très régulier avec l’institut, et notamment, une enquêtrice, que l’histoire va se déplier.  Gaelle Nohant, vers la fin de sa rédaction et avec la levée des mesures sanitaires, pourra faire ce grand voyage. Elle nous raconte son arrivée de nuit dans cette ville sombre et cernée de forêts, la place du château de la ville et sa stature imposante. Ce château qui a servi à loger les Waffen SS durant la guerre. Elle nous raconte sa rencontre avec l’enquêtrice qui ressemble beaucoup à Irene, son personnage principal.

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La Petite Bonne de Bérénice Pichat

La Petite Bonne, ce titre m’a fait de l’œil dès que je l’ai aperçu. 

Parmi la profusion de sorties littéraires en ce mois de septembre, c’est celui-ci que j’ai choisi. J’aime les histoires qui parlent des femmes, des strates qui les composent, et que l’auteur a plaisir à effeuiller pour en faire des écrits vibrants et infinis. J’aime encore plus quand il s’agit de femmes de rien, d’aspect ordinaire. Elles ont le pouvoir de révéler tous leurs potentiels dans leurs vulnérabilités et leurs insuffisances.

Dans ce roman écrit par Bérénice Pichat, la petite bonne qui n’a pas de prénom et sera toujours présentée comme telle, va chez le couple Daniel s’occuper de l’entretien de leur demeure bourgeoise. Monsieur, autrefois pianiste émérite est un grand mutilé de la 1ère guerre mondiale. Sa femme, Alexandrine, veille sur lui depuis plus de 20 ans, vivant dans l’ombre de cet homme ravagé par la solitude et la souffrance. Et si Monsieur profitait de l’arrivée de cette jeune bonne pour l’aider à réaliser son funeste projet ?

 Elle est assise

Face à lui

Ses entrailles la brûlent

Elle sent ses joues rouges

Sa peau qui tire

Elle réfléchit

Elle a très bien compris

Ce que Monsieur lui demande

Il a parlé clairement

Joué cartes sur table

La vérité apparaît

Toute simple

Dans son horreur

Face à elle

Il attend

Crispé

Tendu

Et si elle acceptait 

Il veut y croire

Peut- être est-ce possible 

Notre petite bonne va, contre toute attente, s’imposer dans leurs vies et bousculer leur fragile équilibre. Sa fraîcheur, son authenticité et ses blessures vont trouver un écho auprès de ce bout d’homme brisé. Ce récit puissant sous forme de huit clos, donne une voix singulière à chaque personnage. Bérénice Pichat donne à la petite bonne, une narration unique sous forme de vers libres donnant ainsi plus de corps à ces mots.

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