Les écrivains et leur mère

marie-helene-sainton-bibliotheque-grand-parc-liseuses-de-bordeauxLa bibliothèque du Grand-Parc à Bordeaux a invité samedi 8 février Marie-Hélène Sainton pour une conférence intitulée « Les écrivains et leur mère« . Vous n’y étiez pas ? Deux Liseuses vous racontent…

C’est avec beaucoup de vivacité et d’enthousiasme que Marie-Hélène Sainton nous a présenté son travail sur la place de la mère dans la vie et l’oeuvre des écrivains.
Pour illustrer son propos, elle a choisi quatre écrivains à première vue bien différents : Hervé Bazin, Albert Cohen, Charles Juliet et Romain Gary dont elle nous a rapidement exposé la biographie, puis lu quelques extraits de romans autobiographiques.

Tous ont quelque chose en  commun :  la relation particulière à la mère. Sa présence ou son absence, son amour ou sa haine ont suffisamment marqué leur vie pour qu’ils en soient bouleversés à jamais dans leur relation à eux-même, au monde et à la Femme. Et c’est dans l’écriture que tous ont puisé l’énergie d’exorciser les démons nés de cette relation trop prégnante dont le père était toujours, d’une manière ou d’une autre, presque totalement exclu.

herve-bazinDans Vipère au Poing, roman autobiographique, Hervé Bazin nous présente sa mère sous les traits de Folcocheen patois « celle qui dévore ses petits ».  Dans deux autres romans, il fait suite à cette histoire de famille destructrice, « Atrides en gilet de flanelle », où ses sentiments de haine et de désespoir mêlés pour une mère aigrie et cruelle qui terrorisait ses enfants semblent s’être adoucis.

L’écriture a joué ici un rôle thérapeutique…

le-livre-de-ma-mere-albert-cohen-liseuses-de-bordeauxA l’opposé, Albert Cohen forme avec sa mère un véritable couple. A 59 ans, il écrit Le livre de ma mère, un hymne à l’amour maternel. Il n’a jamais pu se remettre de la mort de sa mère, morte en 1933, une femme humble, soumise et totalement dévouée à son fils, une femme dont il a parfois honte.
« Pauvre sainte poire ! »
Sa mort a laissé en lui un vide que nulle autre femme n’a pu occuper et dans lequel s’est nichée la dépression.
« N’ayant plus de mère,  je ne sais pas qui je suis ».
Il restera fixé à cet amour et en éprouvera toujours le manque qu’aucune autre femme ne saura combler. La Femme sera pour lui un objet de fascination et de désespoir conquis de haute lutte mais aussitôt perdu (par exemple dans Belle du Seigneur).

Mais ici aussi, l’écriture va permettre de faire évoluer la souffrance.

charles-juliet-liseuses-de-bordeauxA 61 ans, lorsqu’il écrit Lambeaux, Charles Juliet  s’adresse à ses deux mères : «  la jetée dans la tombe », sa mère biologique dont il a connu l’existence le jour de son enterrement, lorsqu’il avait 7 ans, et celle qui l’a adopté, « la tout donné », lorsque sa mère fut internée, deux mois après sa naissance, victime sans doute d’un baby blues, affection non reconnue à cette époque.
Toute sa vie, il s’est senti coupable, coupable d’avoir poussé sa mère dans la tombe, coupable de ne pas témoigner suffisamment d’amour à sa mère adoptive. Sa peur de l’abandon ne l’a jamais quitté, mais c’est cette souffrance qui lui permet petit à petit de s’ouvrir aux autres ( 7 tomes de journaux).

L’écriture a joué pour lui le rôle d’une auto-analyse.

Charles Juliet sera présent au Printemps des poètes, à Bordeaux.

romain-gary-liseuses-de-bordeauxRomain Gary écrit son roman autobiographique, La promesse de l’aube,  à 46 ans en 1960. Ce roman lui permet de montrer d’où il est sorti, quel chemin il a parcouru et ce grâce à sa mère. Il nous présente une femme de caractère, prête à se priver pour lui, mais aussi quelqu’un d’exigeant et de tyrannique qui l’a propulsé au-delà de ses limites. Il a réussi ce que sa mère avait toujours souhaité pour lui, mais « a-t-il fait ce qu’il avait vraiment envie de faire ? » s’interroge Marie-Hélène Sainton.
Cette mère pleine de ferveur l’a-t-elle trop aimé ? Fantasque en tous les cas, elle avait écrit prés de 250 lettres à Romain Gary avant de mourir. Ces lettres lui ont été envoyées de façon régulière par une amie complice pour qu’il la croit encore vivante. Ce n’est que 3 ans plus tard qu’il découvrira la supercherie.

Comme la conférencière l’a bien mis en évidence, la mère et l’écriture sont intimement liées dans la vie de ces écrivains.

Alexi Lorca, dans Le mal de mère, écrit : « Est-elle absente ? L’Ecriture est un instrument de quête. Est-elle omniprésente ? L’Ecriture devient un outil de rupture. (…) Qu’ils écrivent pour leur rendre hommage ou pour les fuir, qu’elles aient bercé ou détruit leur enfance, elles ont le mérite d’avoir fait d’eux des écrivains. »

J-B. Pontalis parle de la mère comme le « seul être qui ne soit pas substituable : A ma mère minuscule,  j’attribue,  je donne une majuscule. »

Marie-Hélène Sainton a présenté ces écrivains et leur problématique avec tout son amour de la littérature, pour notre plus grand plaisir. Nous sommes repartis, riches de son savoir partagé, avec en prime quelques bonnes idées de lecture et une bibliographie très précise.

Voici quelques titres proposés. Si vous souhaitez en suggérer d’autres, n’hésitez pas à poster un commentaire !

Albert Cohen
Le livre de ma mère
Albert Cohen
de Franck Médioni
Romain Gary
La promesse de l’aube
Romain Gary, le caméléon 
de Myriam Anissimov
Romain, un regard particulier de Lesley Blanch
Hervé Bazin
Vipère au poing
Charles Juliet
L’année de l’éveil
Lambeaux
Journaux ( 7 tomes  dont Apaisement en 2013 )
Recueils de poèmes
Charles Juliet, d’où venu ? d’Anna Lauricella
Généralités
A ma mère, 50 écrivains parlent de leur mère de Marcel Bisiaux et Martine Jajolet
Fils et mères d’Alain Braconnier
Mères juives des hommes célèbres de Halioua Bruno
Mère/Fils , l’impossible séparation d’Anne-Laure Gannac

Isa G. et Marie-France

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2 réflexions sur “Les écrivains et leur mère

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